Malgré le vaste potentiel de l’exploitation des traces matérielles pour assister les corps policiers et les tribunaux, bon nombre d’études empiriques réalisées depuis les années 1970 ont souligné la contribution somme toute limitée de la science forensique au processus judiciaire, questionnant dès lors sa véritable rentabilité. Une partie du problème réside vraisemblablement dans le fait que les traces matérielles ne sont précisément pas utilisées à leur plein potentiel. Il existe ainsi une réelle opportunité d’approfondir les raisons sous-jacentes à un tel phénomène. L’exploration des perceptions des dirigeants policiers s’avère à ce propos une piste intéressante jusqu’ici peu explorée malgré le rôle de premier plan de ces décideurs dans le déploiement des efforts forensiques. En sur des entretiens semi-dirigés réalisés avec 24 cadres intermédiaires et supérieurs d’organisations policières – dix-huit dirigeants du Québec et six de la Suisse romande – la présente étude se propose de (1) décrire les conceptions de la science forensique et de la police scientifique partagées par les décideurs opérationnels et stratégiques des corps policiers de la Suisse romande, puis de (2) décrire les contextes sociaux (légaux, académiques et culturels) dans lesquels les cadres policiers du Québec et de la Suisse romande sont appelés diriger les services de police scientifique. Elle cherche enfin à (3) comparer les perceptions des dirigeants policiers du Québec à celles des dirigeants policiers de la Suisse romande, ainsi que les contextes sociaux au sein desquels ces perceptions émanent, afin d’explorer les raisons sous-jacentes à l’observation de certaines ressemblances ou dissimilitudes. Les résultats suggèrent que les conceptions de la science forensique et de la police scientifique propres aux dirigeants policiers divergent fondamentalement de part et d’autre de l’océan, notamment en ce qui a trait aux finalités de la discipline et aux compétences attendues des techniciens en identité judiciaire. Les résultats suggèrent par ailleurs que la façon dont sont conçues la science forensique et la police scientifique par les cadres intermédiaires et supérieurs des organisations policières semble profondément modelée par les contextes légaux, académiques et culturels dans lesquels ces acteurs sont appelés à évoluer. Ces constats invitent dès lors à la sensibilisation de tout un ensemble de décideurs de l’écosystème judiciaire et policier – et non pas seulement les cadres policiers – au potentiel informatif plus général de la trace matérielle et à son utilité dans la résolution de problèmes sécuritaires. Ils réitèrent également le bien-fondé d’un rapprochement entre la science forensique et la criminologie dans une tentative de production de savoirs novateurs.
Gestion policière ; culture policière ; culture forensique
La police technique et scientifique et les laboratoires forensiques ont su, au cours des dernières décennies, mettre à profit les nombreux développements technologiques pour étendre considérablement l’éventail des possibilités offertes par l’exploitation des traces matérielles comme l’ADN, les traces papillaires ou encore les traces d’outils. Des modèles théoriques récents ont mis en avant tout un pan de nouveaux objectifs sécuritaires auxquels la science forensique se propose de contribuer, tels que la détection des séries criminelles, l’élaboration du renseignement et la résolution des problèmes criminels (Houck et al., 2017; Ribaux, 2014). En théorie, la discipline possède donc un potentiel énorme pour répondre aux questions d’intérêt pour les tribunaux et les corps policiers. Or, malgré ce potentiel théorique, des études empiriques réalisées depuis les années 1970 ont à maintes reprises souligné l’apport somme toute limité de la science forensique aux enquêtes policières, au processus judiciaire et à l’orientation des efforts policiers dans la résolution des problèmes criminels, questionnant dès lors la rentabilité de l’exploitation des traces matérielles (Bitzer et al., 2017; Crispino et al., 2019; Roux et al., 2015). De tels constats rappellent les débats qui persistent quant à la nature et la raison d’être de la science forensique (Crispino et al., 2019, 2021; Mnookin et al., 2010; NAS, 2009) et invitent à considérer, selon une perspective interactionniste (Le Breton, 2012), que l’exploitation des traces matérielles en matière de justice et de sécurité demeure intrinsèquement dépendante des perceptions des acteurs impliqués. Ils appellent en ce sens à interroger davantage comment la science forensique – entendue comme la discipline se proposant d’identifier et d’associer des traces matérielles et numériques à des fins d’investigation et de sécurité – et la police technique et scientifique – entendue comme l’unité spécialisée qui, au sein des corps policiers, est responsable de la recherche, de la collecte et de l’analyse de ces traces – sont conçues dans les milieux pratiques.
Si quelques études nous renseignent sur la diversité a priori surprenante des perceptions des acteurs de première ligne dans l’exploitation des traces matérielles (Kruse, 2015; Ludwig et al., 2012; Rossy et al., 2013; Williams, 2004), peu se sont jusqu’ici penchées sur celles des dirigeants policiers. Ces décideurs stratégiques et financiers font cependant partie intégrante d’un ensemble d’acteurs non-scientifiques engagés dans le déploiement des efforts forensiques (Bitzer et al., 2015; Mousseau et al., 2019). Ils possèdent un rôle capital dans l’emploi, l’organisation et l’encadrement de la police technique et scientifique et méritent en ce sens une attention particulière. La présente étude vise ainsi à approfondir, via une perspective comparative, les connaissances sur les conceptions de la science forensique et de la police scientifique dans la sphère managériale policière en confrontant les perceptions des cadres policiers du Québec (voir Mousseau, 2019; Mousseau et al., 2019) à celles de cadres policiers de la Suisse romande. En s’intéressant aux contextes dans lesquels évoluent ces dirigeants policiers, elle tente par ailleurs d’explorer les raisons sous-jacentes à l’observation de certaines perceptions chez ces derniers.
L’exploitation des traces matérielles présente un vaste potentiel pour assister les corps policiers et les tribunaux dans l’administration de la justice et la résolution des problèmes criminels. Néanmoins, la médiatisation massive de certaines affaires criminelles où la science forensique a joué un rôle de premier plan a vraisemblablement contribué à façonner, dans l’imaginaire collectif, une conception parfois romancée de l’utilisation de la discipline. Pour plusieurs, la science forensique serait ainsi une discipline quasi infaillible, largement – voire toujours – mobilisée dans le processus judiciaire et contribuant à la résolution d’une majorité d’affaires criminelles (Cole & Porter, 2017). Cependant, dans les faits, de nombreux questionnements persistent quant à l’efficacité et l’efficience de l’exploitation des traces matérielles.
À l’échelle internationale, de nombreux chercheurs ont mis en évidence que le succès des enquêtes policières n’est pas de facto dépendant de la collecte et de l’analyse de traces matérielles. Seule une faible proportion d’affaires criminelles, dans ces études, étaient véritablement résolues par la science forensique et la police scientifique. Les sources humaines (témoins, informateurs, suspects) et les activités policières (patrouilles policières, surveillance) apparaissent vraisemblablement comme des facteurs contribuant davantage à l’élucidation des dossiers (Anderson et al., 2021; Baskin & Sommers, 2010, 2012; Briody & Prenzler, 2005; Brodeur, 2010; Coupe & Griffiths, 1996; Greenwood & Petersilia, 1975; McEwen & Regoeczi, 2015; Mucchielli, 2006; Wellford & Cronin, 1999; White et al., 2011). En parallèle, plusieurs études ont révélé que seule une proportion limitée de délits déclarés à la police semblait investiguée par la police scientifique, et que de ce nombre, plusieurs interventions ne menaient pas systématiquement à une collecte de traces matérielles (Laurin, 2012; Peterson et al., 2009). Enfin, certaines études soulèvent que seule une faible proportion de traces matérielles collectées serait effectivement soumise à des fins d’analyse et présentées à la Cour, révélant ainsi qu’un bon nombre de traces resteraient inexploitées (Bitzer et al., 2016; Laurin, 2012; Peterson et al., 2009; Robertson, 2012; Strom & Hickman, 2010). D’autres études questionnent même l’impact réel de la présence de ces preuves matérielles dans les dossiers sur les verdicts de culpabilité, la détermination des peines ou la négociation des plaidoyers de culpabilité (Baskin & Sommers, 2010, 2011; Briody, 2002).
Ce qui apparaît comme particulièrement préoccupant est la convergence de ces résultats, pourtant observés en lien avec la prise en charge de divers types d’incidents (homicides, crimes sexuels, vols, vols de voiture), sur différents terrains de recherche (États-Unis, Angleterre, Australie, France, Québec) et à travers plusieurs décennies. Des études publiées récemment arrivent en effet à des conclusions similaires à celles d’il y a une quinzaine d’années. Il semble ainsi que, malgré les nombreux développements technologiques dont a su profiter la science forensique, « l’efficacité [réelle] de la [discipline] dans la résolution ou la prévention de la criminalité demeure [toujours] ambiguë, voire au mieux, modeste » [Traduction libre] (Ribaux, 2017, p. 3).
Comment expliquer ce hiatus entre, d’un côté, le haut potentiel avéré de la science forensique et, de l’autre, la contribution concrète limitée de la police technique et scientifique ? L’absence de consensus sur la notion même d’utilité ainsi que sur les moyens de la mesurer de façon fiable et valide apporte certainement un premier élément de réponse (Bitzer et al., 2017; Peterson et al., 2013). Nous en proposons un second en suggérant que la façon dont la science forensique est mise à profit est intrinsèquement dépendante des perceptions et croyances des différents acteurs impliqués, de près ou de loin, dans l’exploitation des traces matérielles. S’intéresser aux raisons sous-jacentes à l’utilisation limitée de la science forensique implique donc d’interroger les conceptions mêmes de la science forensique et de la police scientifique partagées par ces acteurs. La littérature scientifique fournit des assises solides pour justifier la pertinence d’un tel exercice puisque, même si les fondements de la science forensique remontent à plus d’un siècle, bon nombre d’articles et d’ouvrages mettent en évidence une absence de consensus au sein des communautés professionnelles et académiques quant à la nature et la raison d’être de la discipline (Crispino et al., 2019; Delémont & Tanner, 2015; Roux et al., 2015). Si, d’un côté, plusieurs chercheurs appellent à considérer la science forensique comme une discipline à part entière, qui s’appuie sur ses propres principes fondamentaux et qui est utile au processus judiciaire traditionnellement réactif, mais aussi à l’action de sécurité – dans une approche plus proactive – (Baechler et al., 2020; Crispino et al., 2019; Roux et al., 2018), de l’autre, plusieurs acteurs du domaine judiciaire associeraient toujours la discipline à un amalgame de sciences pures (biologie, chimie, physique) destiné par essence à la production de preuves pour les tribunaux. La publication de deux rapports gouvernementaux américains et d’un rapport canadien dédiés à l’évaluation des méthodes utilisées dans les laboratoires forensiques (NAS, 2009; Pollanen et al., 2012; President’s Council of Advisors on & Science and Technology, 2016) tend par ailleurs à renforcer une conception de la science forensique axée unilatéralement sur le travail en laboratoire et la présentation de preuves à la Cour, laissant de côté une perspective plus étendue du potentiel de la science forensique (Roux et al., 2015).
Une même diversité de perceptions existe également à propos de la conception de la police technique et scientifique : alors que plusieurs acteurs – dont certains techniciens en scène de crime eux-mêmes – perçoivent l’investigation de la scène de crime comme un travail mécanique de collecte d’indices matériels, une étape quasi « préscientifique », voire « pré-forensique » (Fraser, 2000; Ludwig et al., 2012; Tilley & Ford, 1996; Williams, 2004), d’autres estiment au contraire que la démarche scientifique débute sur la scène de crime et que le travail des services d’identité judiciaire doit être compris comme une partie intégrante d’une conception holistique de la science forensique (Crispino, 2008; Ribaux, 2014; Roux et al., 2015). Ainsi, il semble que chez les patrouilleurs, les enquêteurs, les techniciens en scène de crime, les scientifiques criminalistes et les juristes, les conceptions de la science forensique et de la police scientifique et leurs visées soient de manière générale toujours fragmentées, voire par moments réductrices. Toutefois, si ces quelques études nous renseignent sur les perceptions des acteurs de première ligne dans l’exploitation des traces matérielles, peu d’études se sont penchées sur celles des dirigeants policiers. Ces décideurs, en raison de leurs rôles de planificateur stratégique, d’allocateur de ressources humaines, matérielles et financières et de contrôleur des performances des membres de l’organisation qu’ils dirigent, influencent l’exploitation des traces matérielles et la contribution de la police scientifique aux différences missions de l’organisation (Bitzer et al., 2015; Mousseau, 2019). Ils méritent dès lors une attention particulière.
Les rares travaux s’étant intéressés à la compréhension de la science forensique par les dirigeants policiers, notamment ceux de Williams (2004) et de Tilley & Ford (1996), suggèrent que ces derniers ne cerneraient que partiellement la véritable nature de la science forensique et les nombreuses possibilités qu’elle offre. Il existerait également une distinction importante entre le niveau de compréhension du renseignement forensique (Ribaux, 2014) que les gestionnaires policiers croient posséder et leur véritable compréhension de ce concept. En d’autres termes, les dirigeants policiers penseraient maitriser le concept de renseignement forensique alors qu’ils associeraient plutôt ce dernier à une simple gestion automatique des données. Ils percevraient donc encore à ce jour majoritairement la science forensique comme spécifiquement dédiée à la construction de preuves pour le système de justice, ignorant ainsi le potentiel des traces matérielles dans une perspective de renseignement ou d’orientation stratégique (Crispino et al., 2015). Plus récemment, les travaux de Mousseau et ses collègues (2019) se sont penchés sur les perceptions des dirigeants policiers du Québec quant aux finalités de la science forensique et quant à la nature du travail des techniciens en identité judiciaire. En continuité avec les résultats des études antérieures, ces travaux suggèrent qu’une majorité de cadres policiers intermédiaires et supérieurs associent avant tout la science forensique à la production de preuves pour les tribunaux et de pistes d’enquêtes utiles à la résolution des affaires au cas par cas (Mousseau et al., 2019). De plus, lorsque questionnés à propos de leurs attentes vis-à-vis de leurs services de police scientifique, les dirigeants policiers interviewés ont mentionné valoriser une attitude professionnelle, une grande minutie et, surtout, un respect accru des règles de procédure et standards en vigueur garantissant l’admissibilité des indices matériels à la Cour (Mousseau, 2019).
À la lumière de ces études, ces dirigeants ne semblent dès lors que très peu percevoir l’utilité de l’exploitation des traces matérielles dans une optique d’action de sécurité et de renseignement, pas plus qu’ils ne semblent concevoir les techniciens en identité judiciaire comme des scientifiques – ou à tout le moins des professionnels appelé à réfléchir selon une démarche scientifique – impliqués dans l’alimentation du renseignement criminel et de sécurité et dans la prise en charge et la réassurance des lésés (Baechler et al., 2015). Bien qu’utiles à la proposition d’hypothèses sur les raisons sous-jacentes à l’exploitation limitée de la science forensique, ces constats présentent deux limites importantes. D’une part, ils ne peuvent aspirer, a priori, à être généralisés dans leur intégralité à des contextes distincts et aux perceptions de cadres policiers issus d’autres régions du monde. Le recours à un devis de recherche qualitatif, et donc par définition, à un devis au faible potentiel de généralisation, limite vraisemblablement la portée des résultats. D’autre part, ces travaux se concentrant surtout à décrire les perceptions des dirigeants policiers, ils ne permettent que très peu de réinsérer les résultats dans les véritables contextes desquels ils émergent et d’explorer les raisons sous-jacentes à la prédominance de certaines croyances chez les dirigeants policiers interrogés.
Il paraît donc pertinent de pallier ces limites et de confronter les résultats issus du Québec à des données similaires extraites d’un environnement différent. En raison des distinctions importantes qu’elle présente avec le Québec en ce qui a trait au système de justice, à la structure et à la composition des services de police scientifique, au développement de la science forensique et à la formation des dirigeants policiers, ainsi qu’en raison de son accessibilité facilitée par le fait que le français y est parlé, la Suisse romande a été sélectionnée comme second terrain de recherche. La présente étude vise ainsi à (1) décrire les conceptions de la science forensique et de la police scientifique partagées par les décideurs opérationnels et stratégiques des corps policiers de la Suisse romande, (2) décrire, tels qu’ils sont perçus, les contextes sociaux dans lesquels les cadres policiers du Québec et de la Suisse romande sont appelés à côtoyer la science forensique et diriger les services de police scientifique et (3) comparer les perceptions de ces deux groupes de dirigeants policiers, ainsi que les contextes sociaux desquels ces perceptions émanent, afin d’explorer les raisons sous-jacentes à l’observation de certaines ressemblances ou dissimilitudes.
La méthode qualitative apparaît comme un devis de recherche de choix pour répondre aux présents objectifs. Elle permet d’abord d’explorer les différentes significations associées aux concepts étudiés dans des contextes variés (ex : au sein d’organisations différentes ou de pays différents) (Carmel, 1999). En laissant les sujets d’étude guider les thèmes d’intérêt, elle permet également de capter les subtilités propres à chacun des terrains de recherche étudiés. En raison de sa nature inductive et de son caractère exploratoire, elle possède enfin le potentiel de faire émerger de nouvelles connaissances jusqu’ici ignorées ou non formellement explicitées (Michelat, 1975; Miles et al., 2014). Deux devis méthodologiques qualitatifs sont donc mis à contribution dans la présente étude. Pour répondre aux deux premiers objectifs, une réplication du devis de recherche utilisé dans le cadre des recherches de Mousseau et ses collègues (2019) sur le management des services d’identité judiciaires a été déployée. La comparaison des résultats issus de deux milieux distincts et l’exploration des contextes sociaux sous-jacents nécessitent toutefois un nouveau cadre méthodologique offrant une structure de référence qui assure la validité et la pertinence des connaissances élaborées. Il paraît en ce sens approprié d’opter pour une méthode inspirée de l’étude de cas comparative.
L’approche par étude de cas comparative est généralement définie comme la comparaison des similitudes et des différences entre des observations d’un phénomène d’intérêt se produisant dans au moins deux contextes distincts. Similaire à l’étude de cas plus classique, elle est particulièrement appropriée pour comprendre les mécanismes sous-jacents à des phénomènes sociaux complexes paraissant indissociables du contexte dans lequel ils se produisent, en permettant d’inscrire les processus d’attribution de sens dans les environnements physiques et culturels dans lesquels évoluent les sujets d’étude (Bartlett & Vavrus, 2017; Baxter & Jack, 2008). La pertinence d’une étude de cas comparative est fortement corrélée à la stratégie de sélection des cas à l’étude. Tel que l’écrivent George & Bennett (2005, p. 83): « One should select cases not simply because they are interesting, important, or easily researched using readily available data. ». Deux stratégies prédominantes se dessinent dans la littérature scientifique. La première consiste à sélectionner des cas similaires dans l’objectif de prédire les résultats des observations des cas B et subséquents à partir des observations réalisées auprès du cas A. La seconde stratégie consiste plutôt à sélectionner des cas en apparence opposés afin de prendre en compte un large éventail de variables potentielles pour chacun des cas à l’étude. Cette méthode apparaît comme une stratégie toute indiquée pour explorer différentes hypothèses explicatives des résultats observés, sans compromettre la validité écologique de l’étude de cas (Beck, 2017). Dans la présente étude, afin de répondre au 3e objectif en conservant une posture exploratoire, c’est cette seconde stratégie qui a été favorisée. En effet, le cas des dirigeants policiers du Québec et celui des dirigeants policiers de la Suisse romande paraissent a priori différents à de multiples égards. Le tableau en annexe résume quelques distinctions faisant de ces cas des cas d’espèce pertinents à comparer.
L’ensemble des données utilisées dans le cadre de la présente étude sont issus d’entretiens semi-dirigés réalisés auprès de dirigeants de dix-huit corps policiers du Québec et de quatre polices cantonales de Suisse romande. Cette méthode de collecte a été privilégiée puisqu’elle permet de recueillir des détails sur le langage1, les attentes et les croyances des sujets étudiés. L’entretien semi-dirigé offre également la possibilité de saisir les singularités des contextes sociaux, organisationnels et/ou culturels tels qu’ils sont perçus par les répondants. Il s’agit donc d’une méthode fournissant du matériel susceptible de répondre aux trois objectifs précédemment formulés. En somme, cette méthode semble en adéquation avec le caractère exploratoire de la présente étude (Duchesne, 2000; Michelat, 1975; Miles et al., 2014).
Tableau 1 : Description des participants 3 | |||||
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Description | Nombre de dirigeants policiers | Nombre de corps policiers | Âge moyen | Expérience moyenne dans la police | Domaines d’expérience |
Dirigeants policiers du Québec interviewés | 18 | 18 | 53 | 32 | Policier |
Dirigeants policiers de la Suisse romande interviewés | 6 | 4 | 50 | 15 | Judiciaire, militaire, scientifique, policier |
Les 22 entretiens réalisés ont été menés en se référant à la grille d’entretien développée dans le cadre du présent projet de recherche. Celle-ci comprenait cinq thématiques d’intérêt, soit le parcours professionnel et académique des répondants, les rôles attribués à la science forensique et à la police scientifique, le management des services de police scientifique (aussi parfois appelés services d’identité judiciaire), l’influence des différents partenaires sur la gestion de ces unités spécialisées et les enjeux relatifs au management des services de police scientifique.
Les données collectées ont été analysées via une analyse thématique des verbatims sous trois niveaux hiérarchiques tel que proposé par Roulston (2014) et Blais & Martineau (2006). Les données brutes recueillies via des enregistrements audios ont d’abord été restructurées sous un même format numérique (via le logiciel Microsoft WordTM), puis importées et regroupées dans le logiciel d’analyse qualitative QDA MinerTM. Ensuite, les passages où il était question des principaux thèmes de la recherche ont été localisés à travers chacun des verbatims et des codes de premier niveau ont été apposés (Roulston, 2014). Cette première analyse a été suivie d’une étape de réorganisation des données où les codes de premier niveau ont été regroupés sous des étiquettes et des catégories plus globales afin de mettre en lumière les similarités et les nuances qui existent dans les discours des sujets d’étude (Blais & Martineau, 2006; Miles et al., 2014; Roulston, 2014). C’est entre autres à cette étape que les données collectées auprès des deux groupes à l’étude ont été comparées. Les données ont enfin été confrontées à la littérature scientifique récente dans le but de structurer de manière cohérente l’interprétation des résultats et, en regard du dernier objectif de la présente étude, d’explorer les raisons sous-jacentes aux résultats observés.
Les dirigeants policiers interrogés en Suisse romande semblent associer trois grandes finalités à la science forensique. D’abord, il semble que la science forensique soit, pour eux, intrinsèquement liée à l’élaboration du renseignement criminel, qu’il soit tactique, opérationnel ou stratégique. Quatre dirigeants ont en effet associé la science forensique à un rôle de premier plan dans la mise en relation de différents événements et la détection de phénomènes criminels problématiques.
Je pense que […] la trace est un pilier central qui génère le renseignement qui nous permet de détecter des phénomènes. Et à quelque part, c’est elle qui pilote un peu plus la police. […] Chaque fois qu’on doit passer de répondre à une affaire à répondre à un phénomène, c’est là pour moi que la science doit intervenir. Parce que répondre à une affaire, on est dans le rapide et le réactif, on est dans les choses que naturellement un corps de police terrain sait faire et il le fait très bien. Mais évidemment dès qu’il faut passer d’une affaire à des liens d’affaires, on est dans les liens de traces. (Sujet 19)
Il y a ensuite le côté forensique qui s’étend plus sur l’analyse criminelle opérationnelle, donc le support à l’enquête, dans le traitement du renseignement, dans la mise en évidence de séries. Donc encore une fois l’analyse criminelle opérationnelle. (Sujet 20)
Que le renseignement soit issu de l’analyse des traces matérielles (ADN, traces digitales, traces de semelle) ou qu’il se combine à des informations circonstancielles (spatio-temporelles, témoignages, modus operandi), pour les dirigeants policiers de la Suisse romande, son élaboration semble du domaine de la science forensique. La discipline se voit ainsi attribuer une contribution plus proactive à l’action de sécurité en permettant de faire des liens entre des affaires et, subséquemment, en détectant des problèmes criminels, c'est-à-dire des phénomènes qui, par leur récurrence, leur fréquence et/ou leur gravité, peuvent menacer la sécurité de la communauté (Goldstein, 1990). La conception de la science forensique par les dirigeants policiers de la Suisse romande interviewés paraît en ce sens, à tout le moins partiellement, s’éloigner de la conception traditionnellement réactive de la discipline visant principalement la production et la présentation de preuves matérielles devant les tribunaux. Un des cadres rencontrés, dont le cursus académique comprend une formation à l’École des sciences criminelles, a toutefois tenu à nuancer ce constat et à mettre en lumière la persistance de certains écarts entre les façons de faire opérationnelles et les récentes propositions théoriques dans le domaine du renseignement forensique.
Je suis issu de [l’École des Science criminelles de] Lausanne, et j’ai suivi le cours de renseignement forensique. Je ne peux pas dire qu’on baigne là-dedans, mais on a quand-même cette philosophie de travail. Et on se rend compte que les traces sont également importantes pour le renseignement. (Sujet 23)
Une autre importante finalité attribuée à la science forensique par les sujets rencontrés est sa contribution variée à la résolution d’enquêtes de diverses natures. Cinq des six dirigeants rencontrés ont en effet souligné son utilité dans l’investigation et la réponse policière à plusieurs types d’incident. Trois de ces dirigeants y voyaient d’abord une contribution évidente aux enquêtes criminelles.
En gros, on n’arrête pas plus de cambrioleurs qu’ailleurs, mais quand on en arrête un, on lui fait porter plus de cas, parce que les relevés de traces ont été systématiques et bien faits. Et donc du coup, on va élucider un plus grand nombre d’affaires. (Sujet 19)
[La science forensique], ça accélère la capacité d’investigation […]. Je pense qu’on arrive à une meilleure rentabilité, dans le sens où toutes ces aides à l’enquête nous aident à précisément cibler les investigations dans les bonnes directions, et ça c’est déjà être plus efficace. (Sujet 20)
[La science forensique], ça va faciliter l’obtention de l’aveu, et on le voit bien dans la pratique criminelle, c’est que le délinquant d’aujourd’hui, […] il va avouer uniquement sur la base de preuves scientifiques, c'est-à-dire si on lui démontre que sur l’outil qui a servi à forcer la porte ou dieu sait quoi, enfoncer la vitre, si on lui démontre ceci, il va avouer. Par contre, tous les cas où son ADN n’aura pas été retrouvé sur place, il va les nier. (Sujet 24)
Les citations ci-dessus laissent croire que cette contribution prend plusieurs formes. Pour certains, l’exploitation des traces serait utile à une orientation efficace de l’investigation vers de potentiels auteurs. Lorsqu’elle est en outre systématique sur l’ensemble des scènes de crime où sont déployés les services de police scientifique, elle permettrait également de résoudre un nombre non-négligeable d’affaires en identifiant un seul auteur prolifique – une perception ici à nouveau corrélée à l’apport de la science forensique à la lutte contre la délinquance de volume. Pour un autre dirigeant, la science forensique, considérée par celui-ci « comme le seul moyen de faire sortir la vérité partielle ou totale » (Sujet 24), faciliterait l’obtention d’aveux de suspects, contribuant de ce fait à la résolution de dossiers d’enquête qui n’auraient vraisemblablement pas été élucidés par les moyens d’enquête dit traditionnels. Deux autres dirigeants étendent quant à eux la contribution de la science forensique à des enquêtes sur des événements qui ne sont pas de nature criminelle.
Notre police scientifique a un rôle déterminant à jouer. [..] Ça peut être des avalanches, des inondations, des glissements de terrain, des grands incendies, [des] tremblements de terre. Elle joue un rôle fondamental dans l’élucidation des cas, par rapport aux grands incidents et à la gestion des grandes catastrophes. (Sujet 21)
Vous connaissez ce phénomène où on retrouve des ossements dans la nature ? Le service de police scientifique prend de nouveau un rôle, et il n’y a pas forcément de crimes, mais on pourra apporter aux familles des réponses sur ce qui s’est passé, donc ils sont à nouveau impliqués. (Sujet 22)
Dans de telles enquêtes, la science forensique serait, selon ces dirigeants, particulièrement mise à profit pour identifier les corps des victimes et pour reconstruire le fil des événements ayant mené aux décès des personnes impliquées dans l’incident. Aucun délinquant n’étant impliqué dans ces catastrophes naturelles ou dans ces accidents a priori fortuits, les finalités associées à la science forensique par certains dirigeants policiers interviewés semblent ainsi dépasser le cadre strictement criminel, s’étendant au domaine plus large de la sécurité publique.
Enfin, la dernière finalité relevée par un des dirigeants policiers de la Suisse romande interrogés est la production de preuves matérielles destinées aux tribunaux.
J’ai assez vite perçu la preuve scientifique probablement comme la seule preuve véritablement pertinente. Disons, la preuve avec le degré de véracité le plus élevé comparativement aux autres. […] Les tribunaux sont beaucoup plus à l’aise avec ce mode de preuve-là […] parce qu’il apporte des réponses précises. C’est ce que le juge attend. Oui ou non, noir ou blanc, des choses comme ça. Vous avez des preuves à apprécier qui sont des témoignages où évidemment le degré de gris, les nuances de gris sont beaucoup plus étendues que la preuve scientifique. C’est beaucoup plus confortable d’avoir une preuve scientifique pour un magistrat. (Sujet 24)
Partageant un point de vue plus rarement manifesté par ses collègues, ce dirigeant policier soutenait concevoir la science forensique comme une discipline dont l’utilité est particulièrement réactive et en fin du processus judiciaire. Associant une plus grande valeur aux preuves matérielles qu’aux preuves dites traditionnelles (p.ex. témoignages, aveux), il avançait en outre que « l’avenir de la police, c’est la preuve absolue, c’est la preuve irréfutable, et puis la preuve scientifique en fait partie. » (Sujet 24).
Parallèlement aux finalités associées à la discipline, le discours et le vocabulaire des répondants laissent envisager une conception de la science forensique qui dépasse la dimension strictement matérielle des traces faisant traditionnellement l’objet de l’attention de la police scientifique.
Avec le défi de la criminalité sur internet, on voit bien que là, c’est bien l’étude de la trace qui va piloter ce qu’on doit faire et ce que l’on peut faire. (Sujet 19)
[Les inspecteurs scientifiques] ne s’occupent pas de faire des auditions de personnes, ils s’attaquent vraiment à ce qui est matériel, voire numérique. (Sujet 23)
Identifiant sans grande surprise au cours des entretiens les traces papillaires et les traces biologiques comme des objets d’étude de la science forensique, quatre des six dirigeants policiers interviewés ont aussi, de leur propre chef, abordé la question de l’exploitation des traces de nature numérique lorsque questionnés sur la façon dont ils concevaient la science forensique.
En ce qui a trait au travail de la police scientifique, les dirigeants policiers de Suisse romande interrogés semblent avant tout considérer celui-ci comme un travail d’analyse. Quatre des six sujets ont abordé la contribution des inspecteurs scientifiques à l’analyse criminelle opérationnelle, et deux d’entre eux ont même attribué aux inspecteurs scientifiques une capacité analytique généralement plus développée que celles de leurs collègues appartenant à d’autres spécialités policières.
[Les inspecteurs scientifiques] représentent effectivement une force de projet, une force de proposition qui rapidement est une richesse pour l’institution parce qu’ils ont un background très large, parce que leur travail est transverse et parce qu’ils ont la capacité analytique…naturellement, ils sont programmés pour ça on va dire, ils essaient de sortir des cas pour parler de phénomènes. (Sujet 19)
Dans le domaine de la police judiciaire, je pense qu’il est essentiel de disposer de ces cadres de niveau universitaire [en science forensique] qui sont capables d’apporter un regard analytique plus marqué ou mieux défini que le cadre de police qui est issu du terrain. (Sujet 20)
Les dirigeants interviewés semblent ainsi associer le travail des inspecteurs scientifiques à une forme de résolution de problèmes dépassant le simple cadre de l’investigation singulière de la scène de crime, évoquant s’attendre à ce que les inspecteurs scientifiques démontrent des compétences dans ce domaine. Cette attention particulière envers les capacités d’analyse n’est pas indépendante du fait que les dirigeants policiers rencontrés recrutent tous des candidats à la profession d’inspecteurs scientifiques issus de l’École des sciences criminelles (ESC). Alors que quelques-uns emploient toujours des inspecteurs scientifiques issus du parcours policier traditionnel, plusieurs sont d’avis qu’« aujourd’hui, la tendance [est] de systématiquement engager des gens qui ont un diplôme de l’ESC et qui doivent ensuite effectuer l’école de police. » (Sujet 20). Pour reprendre les mots d’un des participants, l’inspecteur scientifique d’aujourd’hui « n’[est] plus un simple policier qui donne un coup de pinceau » (Sujet 22).
Le recrutement de ces candidats issus de l’École des Sciences criminelles paraît en parallèle lié à une attention particulière des dirigeants policiers pour la dimension technique du travail de la police scientifique.
On se rend compte que les techniques dans tous les domaines évoluent très vite. Et on n’a pas les moyens dans les corps de police pour faire de la recherche. […] Alors que les universités sont là justement pour développer la recherche et faire en sorte que des gens réfléchissent à ce que peut être la science forensique de demain. Et nous, bien on en profite, […], il y a même des inspecteurs scientifiques qui font des doctorats et qui travaillent en partie chez nous à un pourcentage, alors pour nous c’est très favorable. On en profite clairement, parce qu’ils restent à moindre frais au fait des nouvelles technologies. (Sujet 22)
Le scientifique, ce qu’il amène, c’est ce qu’il y a derrière les techniques. Le policier n’aura pas les connaissances du pourquoi on fait ça. Il apprend ces techniques. Mais ça n’empêchera pas qu’il sera un très bon policier scientifique. L’universitaire doit amener ce côté un peu plus scientifique et expliquer pourquoi il utilise telle technique et comment elle fonctionne. (Sujet 23)
Les dirigeants policiers interrogés semblent ainsi percevoir les inspecteurs scientifiques comme des individus disposant de connaissances et de compétences techniques particulières, nécessaires à l’application correcte des méthodes de détection, de prélèvement et d’analyse des traces matérielles, mais surtout, comme des individus capables de justifier leurs décisions sur la base des connaissances forensiques disponibles et de participer à une veille scientifique et technique des développements dans le domaine forensique. Ils perçoivent également l’intérêt d’établir un pont avec les milieux académiques par le biais de collaborateurs à la fois policiers scientifiques et doctorants.
Somme toute, à la lumière des entretiens réalisés, il appert que les dirigeants policiers de Suisse romande interviewés semblent globalement concevoir la criminalistique comme une discipline visant un large éventail de finalités et s’intéressant à des traces de natures diversifiées. Ils semblent par ailleurs assimiler le travail de la police scientifique à une entreprise requérant un amalgame de compétences analytiques, de connaissances techniques et d’engagement dans une veille scientifique. Avant de comparer ces résultats à ceux obtenus auprès des dirigeants policiers du Québec, il paraît essentiel de réinsérer le discours des participants dans les environnements sociaux dans lesquels ils évoluent et de caractériser davantage les cas à l’étude.
Nos efforts de contextualisation s’articuleront autour de la comparaison de trois composantes des contextes sociaux, soit les interactions des dirigeants policiers interrogés avec le système de justice, leurs interactions avec les institutions scientifiques et académiques ainsi que les caractéristiques de la culture occupationnelle et organisationnelle au sein de laquelle ils se disent évoluer. Cette dernière composante offrira entre autres un regard sur le profil des autres membres de leur organisation avec qui ils ont des interactions.
Au Québec, 12 des 18 participants ont sans hésitation identifié les tribunaux comme des acteurs ayant un grand potentiel d’influence sur les pratiques des services de police scientifique et, conséquemment, sur les décisions relatives au management de ces unités.
[Les acteurs qui peuvent influencer ma gestion de l’identité judiciaire], ce sont bien certainement le système judiciaire. Les juges, les procureurs de la couronne. […] Le Ministère de la Sécurité publique aussi peut avoir un impact sur ma gestion. [Ils] peuvent avoir un impact sur la gestion de cette unité-là avec les contraintes qu’ils peuvent nous amener. (Sujet 17)
Le tribunal est le plus susceptible d’avoir une influence sur notre regard envers la criminalistique parce que s’il y a des jugements qui sont rendus pour des actions qui sont prises par des policiers qui sont en identité judiciaire et ces preuves-là ne sont pas reçues à la Cour, elles sont rejetées ou... Ça va avoir un impact direct. Donc, […] Je pense que le plus gros joueur qui peut avoir un impact, c’est vraiment le tribunal. Si j’ai un juge qui sort un jugement sur une façon de faire, ou quoi que ce soit, comme quoi elle n’est pas acceptée, ça peut avoir un impact. (Sujet 9)
Ces dirigeants semblent soutenir que le succès du recours aux services de police scientifique dépend largement du respect des façons de faire attendues des juristes, soit celles qui selon ces derniers garantiront l’admissibilité des preuves soumises à la Cour. Les dirigeants du Québec paraissent ainsi particulièrement sensibles à l’appréciation que les juristes font du travail d’enquête et préoccupés par le risque que le travail d’un technicien en identité judiciaire ne satisfasse pas suffisamment les attentes des tribunaux. Le discours de ces dirigeants policiers fait en ce sens maintes fois référence aux requêtes de plus en plus exigeantes des procureurs et des juges en matière de preuves.
Les procureurs sont de plus en plus exigeants et des fois, ils ont déjà connu une cause où ils vont avoir un point où ils ne sont pas satisfaits de la preuve, là ils peuvent nous demander d’aller plus loin. ‘Consulte donc, va te chercher un expert.’ […]. Par expérience et parce qu’ils veulent fermer toutes les portes. Ils veulent fermer toutes les portes de la preuve qu’on leur apporte et ils anticipent un peu la Défense, ce que l’avocat de la Défense va amener [pour] essayer de contrecarrer ça d’avance. (Sujet 12)
Le discours de plusieurs dirigeants policiers du Québec laisse ainsi transparaître un souci ou une préoccupation de ne pas répondre aux attentes qualifiées d’élevées des juristes. Afin d’éviter d’éventuelles erreurs ou un rejet des éléments de preuve en raison du travail du service de police scientifique, certains dirigeants chercheraient donc à anticiper les possibles demandes et/ou critiques et à s’adapter aux attentes du système de justice, même si celles-ci peuvent parfois aller à l’encontre des moyens à leur disposition et de leurs croyances, connaissances, compétences et/ou valeurs. Dès lors, bien que de nombreux dirigeants soutiennent que les échanges avec les juristes sont cordiaux et que les demandes de ces derniers demeurent malgré tout essentielles au bon fonctionnement de l’appareil judiciaire, il n’en demeure pas moins que quelques-uns d’entre eux semblent percevoir certaines de ces requêtes comme influentes, voire contraignantes, quant à leur gestion des services de police scientifique.
De leur côté, le discours de quatre dirigeants policiers interviewés en Suisse romande ayant abordé leurs interactions avec le ministère public et les procureurs laisse envisager des échanges bien différents de ceux décrits par les dirigeants policiers du Québec. En fait, même s’il semble qu’« il n’y [ait] plus d’affaires où le service de police scientifique n’est plus impliqué, où le ministère public n’attend pas des éléments techniques » (Sujet 22), les procureurs paraissent rarement émettre des requêtes précises aux corps de police cantonaux et aux services de police scientifique quant aux façons de faire qui devraient être privilégiées. Les procureurs et les magistrats semblent d’ailleurs peu, voire pas, critiquer le travail des inspecteurs scientifiques impliqués dans une enquête.
On a ce principe que la police fait des faits, le magistrat fait le droit. On essaie de rester chacun dans sa sphère, et on met gentiment ensemble. […] Souvent, on a un système qui plait beaucoup aux enquêteurs, parce que l’enquêteur, il propose son plan d’investigation au magistrat. […][Il peut arriver] peut-être que le rapport de l’enquêteur n’est pas top top, mais le procureur s’en fout un peu. (Sujet 21)
Le ministère public attend du policier qu’il lui soumette des propositions, qu’il fasse preuve d’initiative, et le ministère public va endosser, respectivement faciliter, amender ce matching. Vous avez d’autres cantons en Suisse où ce n’est pas du tout comme ça. Vous avez la police et le ministère public qui donne des ordres. […] Ici, on a beaucoup de chances d’avoir cette culture-là. […] Ils comptent sur la capacité d’initiative des policiers, et ça arrange beaucoup les policiers parce que l’initiative en police judiciaire on adore ça. […] Avoir quelqu’un qui nous dit quoi faire, quoi ne pas faire, comment le faire, c’est juste terrible. (Sujet 20)
Selon les cadres policiers de la Suisse romande rencontrés, la police judiciaire et les services de police scientifique disposeraient ainsi d’une importante marge de manœuvre dans la conduite des enquêtes. Bien que les procureurs demeurent en charge de la direction des enquêtes, ils auraient plutôt tendance à respecter les champs de compétence et les connaissances de la police. Par extension, on peut en comprendre que les cadres policiers interrogés semblent eux-mêmes profiter d’une certaine autonomie dans le management des services de police scientifique au sein de leur organisation et que l’influence des procureurs et du ministère public sur les façons de faire s’avère, selon eux, particulièrement limitée. A priori, il s’agit là d’une position diamétralement opposée à celle vécue par les dirigeants policiers du Québec.
Les entretiens réalisés avec les dirigeants policiers du Québec révèlent que globalement, ces derniers semblent rarement interagir avec les communautés scientifique et académique du domaine forensique. Les communications entre les cadres policiers interviewés et les chercheurs ou les scientifiques criminalistes semblent plutôt rares.
Il faut que [le développement de la police scientifique] soit pris en charge par les universités selon moi. En ce moment, je ne le vois pas, je ne le sens pas aussi pris en charge que ça. […] Ce terrain-là, je pense qu’il y a quelque chose qui n’est pas nécessairement couvert totalement. Et il faut que ça dépasse le cadre de la police, ok ? Il faut que ça soit à un autre niveau pour tout ça. […] Le monde universitaire, c’est [son] job de prendre ça et d’amener ça à un autre niveau. D’amener les réflexions ailleurs, de partager les meilleures affaires qui se font ailleurs. Bien plus que juste entre polices. (Sujet 11)
Je lisais justement hier un communiqué : Invitation à participer au projet de détection de GHB dans les cheveux. […] Ça te dit quelque chose ? Écoute, c’est extraordinaire ça ! […] La drogue du viol c’est omniprésent, on fait des saisies régulièrement par rapport à ça. Et le problème, c’est que dans le sang, on le perd rapidement. Donc c’est dur de faire ma preuve. Là, on serait capable à ce moment-là de le voir, de le travailler ! […] Moi, c’est la première fois je reçois [une invitation] comme ça. (Sujet 7)
La rareté des interactions entre les dirigeants policiers du Québec et les communautés scientifique et académique transparaît à la fois dans les propos de certains sujets – le lecteur notera certainement l’étonnement du sujet 7 par rapport aux recherches menées en science forensique –, mais également dans l’absence de référence à ces groupes comme acteurs influençant le management des unités d’identité judiciaire. En effet, seuls 4 sujets ont identifié le Laboratoire des sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML) comme un acteur pouvant influencer les pratiques managériales, alors qu’un seul répondant a affirmé que les chercheurs universitaires pouvaient avoir un tel rôle. Les quelques interactions que les dirigeants interrogés disent avoir eues avec les scientifiques criminalistes du LSJML résulteraient principalement de présentations orales réalisées dans le cadre de rencontres de l’Association des Directeurs de Police du Québec (ADPQ) alors que celles avec des chercheurs universitaires en science forensique seraient encore plus rarissimes si ce n’est inexistantes5. La collaboration limitée entre les dirigeants policiers du Québec et les communautés impliquées dans la recherche et le développement de la science forensique apparaît ainsi bidirectionnelle ; les scientifiques et chercheurs semblent peu impliqués dans la définition des priorités et dans l’élaboration des stratégies en matière d’investigation scientifique des scènes de crime, et les dirigeants policiers seraient peu consultés dans l’identification des besoins et dans l’orientation des recherches futures. Ici, il convient néanmoins de rappeler que le développement d’une communauté de recherche orientée vers le développement de la science forensique au Québec n’en était qu’à ses balbutiements à l’époque de la collecte de données, le premier programme universitaire offrant explicitement une formation en science forensique dans la province, et ainsi un programme de recherche dans ce domaine, ayant vu le jour en 2012 à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
En opposition à cette situation, les dirigeants policiers de Suisse romande ont à maintes reprises mis de l’avant les relations étroites que leurs organisations ont développé avec l’École des sciences criminelles.
La formation qui est dispensée à l’École des sciences criminelles est une formation qui est en prise avec la pratique, qui est en prise avec les besoins opérationnels et ça se voit aussi dans la collaboration qu’on développe entre l’École des sciences criminelles et les corps policiers. C’est quelques choses que j’ai fortement voulu développer ces dernières années […] (Sujet 20)
[Les inspecteurs scientifiques issus de l’École des sciences criminelles] font un lien qui est important et qui a évolué au fil des ans, un lien avec le monde académique. Et là, ils gardent de très bons contacts avec l’Université de Lausanne, ce qui permet […] de garder le service de police scientifique au goût du jour. (Sujet 22)
Les contacts avec l’ESC, ils sont très réguliers. C’est notamment pour orienter les sujets de thèse ou de master des étudiants. C’est pour qu’ils nous informent aussi sur des projets qu’ils ont, ils ont souvent des projets qui nous influencent, qui nécessitent notre collaboration. Ça peut être au niveau des stups, des produits à analyser. Donc on a des collaborations assez étroites, mais ils ne vont pas donner des orientations sur la façon d’orienter les enquêtes. Ils vont peut-être nous informer bien sûr sur des avancées technologiques qui sont nécessaires aujourd’hui et qui vont avoir des impacts sur l’acquisition de tel ou tel matériel, ça c’est clair. (Sujet 24)
Les occasions d’échanges entre les cadres intermédiaires et supérieurs des corps de police cantonaux en Suisse romande et le personnel enseignant de l’École des Sciences criminelles – qui participe simultanément à la recherche académique et à la réalisation d’expertises forensiques – semblent multiples. Les dirigeants rencontrés paraissent d’ailleurs voir d’un bon œil ce dialogue entre les milieux de la pratique et la recherche. En effet, les échanges semblent particulièrement orientés sur une collaboration active entre les parties visant d’un côté à développer et mettre à jour les pratiques d’enquête, et de l’autre, à favoriser la pertinence opérationnelle des recherches effectuées dans le monde académique. Comme nous l’avons fait pour le cas du Québec, il convient également ici de préciser que cette relation entre la pratique policière et le monde universitaire ne date pas d’hier. Si les relations entre l’institution qu’est aujourd’hui l’École des sciences criminelles et les corps policiers en Suisse se sont vraisemblablement dynamisées à la suite de l’arrivée de Prof. Pierre Margot à la direction de l’Institut de police scientifique en 1986, la proximité de l’École avec les milieux de pratique représente un de ses traits caractéristiques. Fondée il y a plus d’un siècle par Rodolphe Archibald Reiss, engagé auprès des corps policiers et du système de justice suisses, elle a depuis toujours su, malgré ses contributions plus théoriques, demeurer ancrée dans la pratique (Baechler, 2017).
Les données recueillies auprès des dirigeants policiers interviewés du Québec et de la Suisse romande permettent enfin de comparer les contextes culturels caractérisant les deux cas à l’étude. Du côté des dirigeants policiers québécois, les entretiens réalisés mettent en évidence l’adhésion des répondants à une culture aux traits assimilables à ceux d’une culture occupationnelle dite policière (Jobard & Maillard, 2015; Loftus, 2009). Certains sujets abordent d’ailleurs eux-mêmes leur adhésion à une culture particulière.
Dans la police, on est en mode rétroaction tout le temps, tout le temps. […]. Est-ce que ça aurait pu être mieux ? Est-ce qu’on a mis quelqu’un ou quelque chose à risque ? Est-ce qu’on a bien protégé la preuve ? Tu sais, on est en mode rétroaction tout le temps. On est élevé dans cette culture-là, donc c’est pareil aussi pour nos techniciens. (Sujet 11)
On est bien exposé au niveau de la police. Et quand t’es exposé, il faut que tu t’attendes à ce que beaucoup de gens te voient, et à ce que beaucoup de gens vont analyser ce que t’as fait. Et, tu ne peux pas vraiment te permettre d’erreurs. C’est dommage, mais moi je pense que dans notre environnement au quotidien, on est observé. Arrange-toi pour faire ça comme du monde. […] T’as pas le choix, parce que si tu fais une erreur, tu passes dans le journal. (Sujet 4)
Les extraits précédents expriment bien la perception de plusieurs dirigeants policiers selon laquelle l’institution policière ferait constamment l’objet d’évaluations, à l’intérieur même du système judiciaire comme dans la sphère publique. En adéquation avec les propos tenus à l’égard des attentes des procureurs, il semble ainsi que plusieurs dirigeants policiers du Québec aient l’impression que les actions des policiers sont systématiquement exposées voire décortiquées à la recherche de fautes, et conséquemment, qu’ils n’ont pas le droit à l’erreur dans l’exercice de leurs fonctions. On décèle dans de tels propos des attributs maintes fois associés à la culture occupationnelle dite policière par les sociologues de la police, à savoir une certaine sensibilité à l’égard de l’image de l’institution policière et de ses membres, synonyme de légitimité pour plusieurs, ainsi qu’une réserve, voire une résistance, au regard critique, qu’il provienne de « l’intérieur » ou d’acteurs « non-policiers » (Brodeur, 2010; Tankebe, 2013; Jobard & Maillard, 2015). En parallèle, rappelons que les dirigeants policiers du Québec sont eux-mêmes des policiers de carrière ayant cheminé au sein de l’institution depuis leurs débuts comme policier-patrouilleur, il y a en moyenne une trentaine d’années. À ce constat s’ajoute le fait que l’ensemble des acteurs impliqués dans le travail d’investigation de la scène de crime et dans le management des services de police scientifique sont aussi tous des membres de l’institution policière. Les techniciens en scène de crime du Québec sont tous6, avant tout, des policiers de formation, avec plusieurs années d’expérience et ayant suivi une formation spécialisée dédiée à l’investigation de la scène de crime offerte par le Collège canadien de Police. Les cadres intermédiaires au sein de la division des enquêtes sont également tous des policiers.
A contrario, bien que les données collectées en Suisse romande ne nous permettent que très peu de mettre en évidence des éléments clés de la culture à laquelle les dirigeants policiers interviewés adhèrent, et que la diversité de leurs profils sociodémographiques suggère qu’ils n’adhèrent pas de facto à une culture monolithique simplement en raison de la similarité de leur statut professionnel, le discours de plusieurs répondants laisse envisager leur proximité avec ce qu’ils nomment eux-mêmes une « culture forensique » particulière. Plusieurs dirigeants rencontrés ont en effet soutenu que leurs conceptions de la science forensique et des services de police scientifique étaient vraisemblablement influencées, selon eux, par la présence d’étudiants issus de l’École des sciences criminelles (ESC) au sein de ces services et, de plus en plus, dans la sphère managériale.
Je crois que la plus grande influence de l’ESC est indirecte, c’est sur la philosophie de travail et du développement des services d’identité judiciaire. Et on l’a vue en Romandie parce que tous les chefs des services d’identité judiciaire romands sont issus de l’ESC. En Suisse allemande ça commence à se développer, il n’y a presque aucun canton où il n’y a pas un diplômé de l’ESC. Mais c’est vrai que l’ESC a une influence sur le développement de la police scientifique, ce qui fait qu’on est un pays assez avancé dans le monde. (Sujet 23)
J’ai profité moi d’une sous-culture assez orientée science. Déjà par la présence d’un officier supérieur, [qui] venait de l’ESC. […] Sa présence a fait qu’au niveau du service forensique dans la décennie qui a suivi, on a passé […] à un recrutement systématique [des] inspecteurs scientifiques au niveau de l’ESC. Donc, à quelque part, il y a eu une diffusion lente sur un espace de temps qu’on peut considérer comme 15 ans, du service forensique rendu plus scientifique par la présence des universitaires, avec des carrières qui ont fait en sorte que certains de ces inspecteurs scientifiques ont pu faire la carrière jusqu’au sommet de la hiérarchie. (Sujet 19)
Un développement [comme l’analyse criminelle] n’est possible que parce […] qu’on a aussi à la tête des polices judiciaires des patrons qui sortent de la science forensique ou qui en sont convaincus. Et puis, on a dans les différents corps de police, quand même, de plus en plus, et là on va parler des non-cadres, des compétences d’universitaires qui sortent de l’École des sciences criminelles qui sont en mesure d’apporter des solutions aux problèmes. […] C’est typiquement ce genre de développement forensique appliqué dont on est friands nous, patrons des services de police et qu’on peut obtenir par cette culture forensique qui existe en Suisse romande. (Sujet 20)
Que les étudiants ayant bénéficié des enseignements de l’École des sciences criminelles agissent à titre d’inspecteurs scientifiques ou à titre de cadres, les dirigeants policiers interrogés en Suisse romande semblent d’avis qu’ils participent activement à la transmission et la promotion de certains savoirs et courants de pensées perçus favorablement et, de ce fait, à la construction des perceptions et des croyances dans la sphère managériale des corps de police cantonaux de Suisse romande en matière de science forensique. Ainsi, si les dirigeants policiers interviewés en Suisse romande n’adhèrent peut-être pas eux-mêmes à une culture forensique particulière et qu’il faut reconnaître la pluralité des opinions sur le sujet, ils œuvrent manifestement, selon leurs dires, dans un environnement où une telle culture est, sans être exclusive, néanmoins largement prégnante. Les interactions qu’ils entretiennent avec les membres de leur organisation impliqués dans l’exploitation des traces matérielles et issus de l’École des sciences criminelles teinteraient dès lors leur conception de la science forensique, de la police scientifique, et de la trace elle-même.
Afin de mieux comprendre les perceptions des dirigeants policiers en matière de science forensique et de police scientifique, puis d’explorer plus profondément leurs raisons d’être, la présente étude s’est proposée dans un premier temps de décrire les perceptions des dirigeants policiers de Suisse romande en la matière et de comparer les résultats aux perceptions des dirigeants policiers du Québec. Elle s’est également attelée, dans un second temps, à contextualiser ces perceptions dans les contextes sociaux dans lesquels les cadres policiers interviewés sont appelés à superviser la police scientifique afin d’explorer les raisons sous-jacentes à l’observation de certaines ressemblances ou dissimilitudes.
À première vue, si l’on définit la science forensique comme l’application des sciences dites exactes au service de la justice et de la sécurité, et la police scientifique comme l’unité regroupant les individus en charge de la collecte et de l’analyse des traces matérielles laissées sur les scènes d’incident, il serait probablement tentant de conclure que les perceptions des dirigeants policiers du Québec et de la Suisse romande font sensiblement consensus. Le recours à de telles définitions très générales ne nous éclaire toutefois que très peu sur le véritable sens attribué à ces concepts par les dirigeants policiers. Est-ce qu’au service de la justice et de la sécurité renvoie à la même signification pour les dirigeants policiers du Québec et de la Suisse ? Quelles compétences sont attendues des individus en charge de la collecte et de l’analyse des traces et quelles contributions apportent-ils aux yeux des dirigeants policiers du Québec et de la Suisse romande? En s’y intéressant plus en profondeur, le discours des dirigeants policiers interrogés suggère plutôt que fondamentalement, les conceptions de la science forensique et de la police scientifique divergent de part et d’autre de l’océan.
D’abord, la conception de la science forensique partagée par les dirigeants policiers de la Suisse romande semble davantage étendue que ne l’est celle partagée par les dirigeants policiers du Québec. Alors que la première apparaît à la fois associée à des finalités proactives et réactives, à l’analyse du renseignement et aux traces dans les environnements physique et virtuel, la seconde demeure généralement centrée sur des finalités réactives et sur l’analyse des « preuves » matérielles physiques recueillies sur une scène de crime orientées pour une utilisation à la Cour. La quasi-totalité des dirigeants policiers du Québec n’ayant pas abordé la potentielle contribution de la science forensique au renseignement criminel ou à la compréhension des incidents de nature non criminelle, l’éventail des finalités attribuées à la science forensique par les dirigeants des corps policiers romands paraît dès lors plus large et vraisemblablement plus proche de son véritable plein potentiel (Ribaux, 2014; Roux et al., 2015). Par ailleurs, le recours au vocable « trace(s) matérielle(s) » par les cadres policiers de la Suisse romande plutôt qu’à celui de « preuve(s) matérielle(s) » utilisé par les cadres policiers du Québec (pour faire référence aux marques résultantes d’un incident ou du passage d’un criminel) abonde dans le même sens. Il témoigne vraisemblablement d’une certaine sensibilité des premiers aux potentielles contributions de la science forensique dépassant le traditionnel processus judiciaire réactif, et réitère des questionnements quant au degré de familiarité des seconds avec la discipline (Margot, 2014; Mousseau et al., 2019). Les conceptions de la science forensique par les dirigeants policiers interviewés s’apparentent ainsi aux conceptions plus généralement défendues dans les régions du monde où les cas à l’étude sont situés : les dirigeants policiers de la Suisse romande partageraient une vision plus holistique de la science forensique telle que promue par l’École des sciences criminelles (voir Margot, 2010; Ribaux, 2014) alors que la perspective des dirigeants policiers du Québec s’assimilerait davantage à une conception axée sur le processus judiciaire réactif, une perspective plus typique des milieux policiers, judiciaires et scientifiques œuvrant dans des systèmes de justice de tradition accusatoire comme c’est le cas en Amérique du Nord (voir Mnookin et al., 2010; NAS, 2009; Pollanen et al., 2012; President’s Council of Advisors on & Science and Technology, 2016).
De manière analogue, des distinctions importantes semblent exister quant à la façon dont les services de police scientifique sont conçus. Alors que les dirigeants policiers interrogés en Suisse romande semblent accorder une attention particulière aux compétences analytiques transversales, à la capacité de raisonner sur des problèmes divers – une compétence qui démarquerait d’ailleurs les inspecteurs scientifiques des autres policiers – et à l’engagement dans une veille des nouvelles connaissances et méthodes dans le domaine forensique, les dirigeants policiers du Québec semblent quant à eux avant tout préoccupés par le professionnalisme, la minutie ainsi que la connaissance et le respect des procédures législatives et techniques garantissant l’admissibilité des indices matériels comme preuves devant les tribunaux. Cette différence laisse croire en une conception de la profession de technicien en identité judiciaire ou d’inspecteur scientifique plus étendue et s’apparentant davantage à un travail d’analyse et de résolution de problèmes chez les cadres policiers de la Suisse romande, une position d’ailleurs défendues par plusieurs auteurs (Crispino, 2008; Illes et al., 2019a, 2019b; Ribaux, 2014; Roux et al., 2018). À ce propos, les compétences attendues des inspecteurs scientifiques par les cadres policiers de la Suisse romande s’apparentent largement à celles recherchées chez les analystes en renseignement selon Fortin et al. (2019). Elle suggère en contrepartie la dominance, chez les cadres policiers québécois, d’une conception de la profession particulièrement axée vers le savoir-faire et le soutien qu’offre la police technique et scientifique en matière de détection et de prélèvement d’indices matériels lors des enquêtes criminelles (Mousseau, 2019).
En l’absence d’études antérieures sur le sujet et en s’appuyant uniquement sur les résultats issus des entretiens avec des dirigeants policiers du Québec, Mousseau, Crispino et Baechler (2019) avançaient l’hypothèse que les perceptions de ces derniers seraient, a priori, plutôt représentatives des perceptions de dirigeants policiers issus d’autres milieux. Les présents résultats suggèrent plutôt l’hypothèse alternative : la façon dont sont conçues la science forensique et la police scientifique par les cadres intermédiaires et supérieurs des organisations policières semble profondément modelée par les contextes légaux, académiques et culturels dans lesquels ces acteurs sont appelés à évoluer et travailler. En d’autres termes, les perceptions des dirigeants policiers en matière d’exploitation des traces matérielles semblent générées ou influencées – à tout le moins partiellement – par les interactions sociales que ceux-ci ont avec les différents milieux concernés par la science forensique (Le Breton, 2012).
La comparaison des perceptions des dirigeants policiers du Québec et de la Suisse romande peut soulever l’influence des différents systèmes de justice sur la conception de la science forensique et de la police scientifique. L’évolution des dirigeants policiers du Québec au sein d’un système de tradition accusatoire, où un ensemble de règles détermine l’admissibilité des preuves présentées à la Cour et où s’opposent les versions de la Couronne – pour laquelle les corps de police œuvrent – et de la Défense sur les faits alléguées ne paraît pas sans effet sur leurs croyances (Champod & Vuille, 2011; Costa & Santos, 2019). Aux yeux de ces dirigeants, le risque qu’un manquement aux procédures légales vienne perturber l’issue du processus judiciaire, et par extension la confiance des citoyens à l’égard de la police et des tribunaux (Ramsey & Frank, 2007), flotterait continuellement au-dessus de leurs organisations telle une épée de Damoclès. À la lumière de ces perceptions, les erreurs judiciaires liées à des vices de procédures, les arrêts des procédures judiciaires et les procès avortés dans le système de justice canadien au cours des dernières décennies, ainsi que la couverture médiatique importante de ces événements7, se dessinent comme des manifestations du risque véritable qu’une enquête policière soit mise en échec. A contrario, la tradition inquisitoire du système judiciaire suisse se veut plutôt marquée par le rôle du juge dans l’assemblage des preuves à charge et à décharge et par un principe de liberté de la preuve selon lequel toute forme de preuve est a priori admissible à la Cour (Champod & Vuille, 2011; Gillieron, 2011). Très peu d’erreurs judiciaires semblent par ailleurs avoir été mises en évidence au cours des dernières décennies en Suisse, et les preuves matérielles ne semblaient à l’origine d’aucune de ces condamnations erronées (Gillieron, 2011). Il faut également souligner que les remises en question des procédures judiciaires liées à des vices de procédure semblent rares et que les affaires judiciaires demeurent peu médiatisées comparativement à la situation nord-américaine. La pression ressentie vis-à-vis du système judiciaire et de ses exigences semble ainsi plus modérée en Suisse romande qu’au Québec, permettant aux dirigeants policiers de la Suisse romande de profiter d’une certaine autonomie facilitatrice à une expansion ou une redéfinition plus ambitieuse de l’utilité de la science forensique afin de répondre aux missions fondamentales de prévention de la criminalité et de maintien de l’ordre de leurs organisations (Baechler et al., 2020; Goldstein, 1990; Ratcliffe, 2016). De tels résultats soutiennent donc la thèse de Hartmann (2014, 2017), reprise par Hestehave, (2017, p. 76), selon laquelle une culture visant l’absence totale d’erreur serait « l’un des obstacles les plus importants au développement et à l’innovation au sein de la Police, la peur de commettre des erreurs poussant les policiers à s’en tenir à des pratiques familières » [Traduction libre].
Par ailleurs, nos résultats traduisent également l’influence de premier plan des interactions des dirigeants policiers avec les acteurs directement impliqués dans l’exploitation des traces matérielles sur leur conception de la science forensique et la police scientifique. Les perceptions des dirigeants policiers du Québec, qui interagissent ainsi majoritairement avec d’autres agents de la paix, vont de pair avec une série de croyances et de valeurs traditionnellement associées à la culture occupationnelle dite policière : la valorisation du savoir-faire policier, l’importance de la mission de répression de la criminalité et de l’image de l’institution policière, le sentiment d’être constamment observé et la résistance au regard critique (Brodeur, 2010; Jobard & Maillard, 2015; Loftus, 2009; Tankebe, 2013). La rareté des interactions avec les chercheurs et les scientifiques criminalistes au sujet de l’exploitation des traces matérielles et de la gestion des services de police scientifique, alors que les mandats de ces acteurs sont notamment d’être à l’avant-garde des développements théoriques et techniques et des recherches menées dans leur domaine de compétences, pourrait expliquer une part non-négligeable de la conception plus étroite de la science forensique et de la police scientifique partagée par les dirigeants policiers du Québec. Il ne peut dès lors être de facto reproché à ces dirigeants leur méconnaissance des récentes avancées en matière de renseignement forensique et d’investigation scientifique des scènes de crime si les travaux portés par les chercheurs et les scientifiques criminalistes ne leur sont pas disséminés, eux qui font partie des principaux utilisateurs de connaissances concernés par ces développements. Inversement, dans un contexte où les dirigeants policiers de la Suisse romande affirment collaborer largement avec l’institution scientifique et académique qu’est l’École des sciences criminelles et où ils côtoient aux niveaux tactique, opérationnel et stratégiques des étudiants issus de cette institution et partageant ses valeurs, ils semblent concevoir la science forensique et les services de police scientifique d’une façon davantage en adéquation avec les récentes propositions quant à l’extension de la discipline à un paradigme sécuritaire (Baechler et al., 2020; Bitzer et al., 2017; Delémont et al., 2017; Ribaux, 2014). Il est en ce sens raisonnable de croire que les valeurs, les croyances, les connaissances et les attitudes promues par l’École des sciences criminelles sont portées puis intériorisées, à tout le moins partiellement, jusque dans les sphères managériales des polices cantonales.
Cette étude présente évidemment plusieurs limites d’ordre méthodologique. L’étude de cas comparative, bien qu’utile à l’exploration des conditions sous-jacentes à l’observation de phénomènes sociaux, demeure une méthodologie inductive ne permettant pas la mise en évidence de mécanismes causaux au fort pouvoir explicatif. L’absence de contrôle sur les variables en jeu et la possibilité que les données disponibles ne permettent pas d’éclairer d’autres variables de nature à influencer les perceptions des dirigeants policiers appellent à considérer avec prudence la valeur explicative des résultats obtenus (Miles et al., 2014). De plus, le nombre limité d’entretiens réalisés auprès des dirigeants policiers de la Suisse romande, le biais positif de ces derniers à l’égard de l’École des sciences criminelles au sein de laquelle le projet de recherche était mené et l’absence de méthode de triangulation des données invitent aussi à une certaine prudence quant à la généralisation des résultats à des dirigeants policiers issus d’environnements différents. D’autres recherches du genre gagneraient ainsi à être réalisée dans d’autres contextes, afin de conforter les résultats obtenus et les inférences proposées.
Néanmoins, nous sommes d’avis que les résultats de la présente étude permettent la formulation de deux recommandations visant le développement de l’exploitation des traces matérielles à des fins judiciaires et sécuritaires par les organisations policières. D’une part, l’ancrage des conceptions de la science forensique et de la police scientifique par les dirigeants policiers dans les contextes sociaux dans lesquels ces derniers évoluent appelle à faire connaître et valoriser l’éventail des contributions potentielles des traces matérielles et des services de police scientifique, particulièrement au profit de l’action de sécurité, auprès de tout un pan d’acteurs impliqués dans le déploiement des efforts forensiques. En effet, si la formation des dirigeants policiers en matière de science forensique peut sans contredit s’avérer fort pertinente à leur gestion efficace et efficiente des services de police scientifique, elle ne serait vraisemblablement pas en soi suffisante à un changement des perceptions et croyances en la matière, et encore moins garante d’une réforme des pratiques (Blumberg et al., 2016; Fekjær et al., 2014; Haarr, 2001). La modification de perceptions ainsi dépendantes des interactions sociales entretenues par les dirigeants policiers semble passer impérativement par un rapprochement avec les communautés académiques et scientifiques concernées, une ouverture des organisations policières aux professionnels issus de champs de compétence pertinents, et un mouvement de tout l’appareil judiciaire vers une culture où la trace matérielle – et numérique – est reconnue comme porteuse d’une valeur informative plus générale sur la source et l’activité à son origine, ouvrant en ce sens tout un champ de possibilités (Baechler, 2017; Crispino et al., 2019, 2021; Margot, 2014; Raymond & Julian, 2015). C’est la sensibilisation de tout un ensemble de décideurs de cet écosystème, et pas seulement les cadres policiers, qui favorisera vraisemblablement l’extension des conceptions de la science forensique et de la police scientifique dans les milieux professionnels et qui, de surcroit, offrira un environnement propice, pour ces dirigeants policiers, à l’élaboration de stratégies cherchant à maximiser la rentabilité de l’exploitation des traces matérielles.
D’autre part, la pertinence des résultats présentés ici réitère l’intérêt réel qui existe à tenter de rapprocher davantage la science forensique et la criminologie dans la compréhension du phénomène criminel et de sa prise en charge (Rossy et al., 2017). Ainsi, si les appels au rapprochement entre science forensique et criminologie ont jusqu’ici été principalement marqués par une invitation à utiliser les connaissances criminologiques empiriques et théoriques pour interpréter les traces matérielles laissées par l’activité criminelle ou, inversement, à utiliser les traces matérielles pour produire des connaissances sur les phénomènes criminels (Rossy et al., 2017), les résultats de la présente étude soutiennent le bien-fondé du recours aux théories et aux méthodologies utilisées en criminologie pour étudier les pratiques et les perceptions des acteurs impliqués dans l’exploitation des traces matérielles. À l’instar des récentes contributions de Bitzer et ses collègues (2015, 2016), Cole (2013), de Gruijter & de Poot (2019), Dror (2017), Hazard (2014), Kruse (2015), Wilson-Kovacs (2014) et Wyatt (2014), pour ne nommer que ces auteurs, de futures recherches gagneraient certainement à prendre pour objet d’étude ceux et celles en charge de l’utilisation de la science forensique. L’éclairage précieux de ce genre de recherche profiterait à l’orientation des pratiques et des formations en la matière.
Si les dirigeants policiers jouent par hypothèse un rôle de premier plan dans le déploiement des moyens criminalistiques, donc l’exploitation des traces matérielles par la police scientifique, il convient de souligner le peu d’études empiriques ayant jusqu’ici éclairé les perceptions et les croyances de ces acteurs à propos de la science forensique (Crispino et al., 2021; Bitzer et al., 2015; Mousseau et al., 2019). Dans la lignée de cette littérature scientifique émergente, et pour approfondir encore davantage la nature et la raison d’être des conceptions de la science forensique et de la police scientifique partagées au sein de la sphère managériale policière, la présente étude cherchait à confronter les perceptions des cadres policiers du Québec sur le sujet à celles de cadres policiers de la Suisse romande. Elle tentait de repérer les ressemblances et les dissimilitudes dans les propos des interviewés et dans les contextes sociaux dans lesquels ils évoluent afin d’explorer les raisons sous-jacentes à l’observation de certaines perceptions chez ces derniers.
Somme toute, les résultats mettent en évidence les différences importantes qui existent dans les façons dont la science forensique et la police scientifique sont conceptualisées par les dirigeants policiers du Québec et ceux de Suisse romande. Ils éclairent également les dissimilitudes évidentes qui caractérisent les interactions sociales que les groupes à l’étude ont avec le système de justice, les communautés académiques et scientifiques et les membres de leur organisation impliqués dans les activités de la police scientifique. En ce sens, il est fort possible que les dirigeants policiers profiteraient, à différents égards, d’une formation à tout le moins de base sur la science forensique et son potentiel. L’exploration des contextes dans lesquels ces dirigeants évoluent suggère toutefois que leurs conceptions de la discipline et des acteurs qui la pratiquent sont au final modelées par bien d’autres éléments dépassant leur simple niveau d’éducation en la matière. Le rôle de premier plan joué par le contexte social dans lequel les dirigeants policiers occupent leurs fonctions sur la consolidation de certaines croyances par rapport aux finalités de la science forensique et à la nature du travail de la police scientifique suggère que le développement des pratiques d’exploitation des traces matérielles à des fins d’action de sécurité requiert de plus profonds changements structurels et culturels au sein des milieux policiers et judiciaires. Les résultats de la présente étude invitent dès lors à reconnaître (1) le rôle majeur que peuvent jouer les dirigeants policiers dans l’élaboration de stratégies destinées à développer l’exploitation des traces matérielles et (2) l’intérêt de stimuler les échanges entre les dirigeants de différents corps de police à l’échelle internationale.
Enfin, en soulignant à quel point la science forensique et la police scientifique peuvent être comprises et perçues très différemment dans deux régions du monde distinctes, notre étude offre une clé de lecture à même d’expliquer, du moins en partie, le différentiel qui existe entre, d’une part, le potentiel théoriquement formidable que des chercheurs et observateurs attribuent à la science forensique et à la police scientifique pour contribuer à la justice et à la sécurité et, d’autre part, les études empiriques réalisées depuis les années 1970 qui mesurent un apport beaucoup plus modeste aux enquêtes policières et au processus judiciaire. La pensée de William I. Thomas (1970, p.572), éminent sociologue de l’École de Chicago, semble ainsi encore résonner à ce jour : « Quand les hommes définissent des situations comme réelles, elles sont réelles dans leur conséquences » [Traduction libre].
Les auteurs tiennent à remercier Professeur David Décary-Hétu pour son soutien considérable à la réalisation du projet de recherche initial. Ils tiennent également à remercier les généreux dirigeants policiers du Québec et de la Suisse romande qui ont accepté de participer à cette étude ainsi que l’École Nationale de Police du Québec et l’École des Sciences criminelles pour leurs supports respectifs à la sollicitation des candidats.
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Description des cas à l’étude | ||
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Québec | Suisse romande | |
Système de justice et modèle policier |
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Institution académique et science forensique |
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Structure et composition des services de police scientifique |
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Profils des dirigeants policiers |
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Études ayant pour objet l’exploitation des traces matérielles par la police scientifique |
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