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Étude des motivations à devenir policier : Un regard sur l’avis des étudiants québécois inscrits au programme de formation policière

Published onAug 12, 2024
Étude des motivations à devenir policier : Un regard sur l’avis des étudiants québécois inscrits au programme de formation policière
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Mots-clés

Police; étudiants en Techniques policières; profil motivationnel; aspirations professionnelles; socialisation professionnelle; culture policière.

Introduction

Devenir policier n’est pas le fruit du hasard. Susceptibles d’être confrontés aux situations les plus problématiques de la société, les policiers nord-américains sont aussi des professionnels réputés, comme l’indiquent les pouvoirs juridiques extraordinaires qui leur sont conférés. Être policier, c’est aussi occuper un emploi de la fonction publique qui offre une multitude d’avantages sociaux. À ceci s’ajoute « l’échelle de prestige du métier qui oscille entre sale boulot et héroïsation […] » (Pruvost et Roharik, 2011, p. 282). La profession policière est complexe, et confronte ceux qui choisissent d’endosser l’uniforme à de multiples enjeux opérationnels et professionnels. Pensons notamment aux interventions policières auprès de personnes en crise ou agressives, ou encore, à la critique du public lors d’intervention controversées. Or, qui sont ceux qui choisissent cette profession remplie de défis ? Et quelles sont leurs ambitions professionnelles?

Le processus pour devenir policier varie considérablement d’un endroit à l’autre. Au Québec, la Loi sur la police exige que les candidats soient détenteurs d’un diplôme d’études collégiales en techniques policières (TP) (formation de 3 ans) ou d’une attestation d’études collégiales en TP (formation de 12 mois) dans certains cas, puis qu’ils complètent avec succès le programme de formation initiale en patrouille et gendarmerie de l’École nationale de police du Québec (ENPQ) (formation pratique de 15 semaines). La formation policière au Québec est donc relativement longue, et son accès est présentement fortement limité. Ainsi, avant de pouvoir soumettre leur candidature aux corps policiers en vue d’occuper une fonction policière, les recrues doivent traverser deux étapes de sélection, celles des études collégiales et de l’ENPQ. Ces premiers processus de sélection doivent, en principe, assurer que les candidats éventuellement embauchés par les corps policiers correspondent aux profils recherchés. Or, le candidat idéal semble de plus en plus difficile à reconnaître (Richard et Pacaud, 2008).

Compte tenu de la rareté des études longitudinales sur les (futurs) policiers, la présente étude s’insère dans un projet de grande envergure visant à suivre l’évolution des futurs policiers du Québec dès leur entrée au collège. Plus précisément, cet article abordera la question de l’évolution des motivations à entreprendre une formation policière entre la première et la deuxième année d’études en TP, et vérifiera l’influence du sexe, de l’âge, de la maturation et de l’origine culturelle sur les motivations à devenir policier ainsi que sur les aspirations professionnelles.

Pourquoi devient-on policier ? : État des connaissances

Depuis des années, le travail des policiers québécois a grandement évolué et les exigences à leur égard se sont considérablement intensifiées. Les policiers font, aujourd’hui, beaucoup plus qu’appliquer la loi et agir sur la criminalité. Ils doivent assurer le bon fonctionnement de la société et répondre aux demandes de la population qui sont de plus en plus complexes et étrangères à la lutte contre la criminalité (Richard et Pacaud, 2008). En effet, ils doivent continuellement s’adapter et agir en amont, c’est-à-dire prévenir les actes délictueux plutôt que gérer leurs conséquences. Ils peuvent également être amenés à intervenir dans des situations liées à la détresse humaine ou à des malaises sociaux (pauvreté, toxicomanie, incivilités, etc.) (Richard et Pacaud, 2008). En 2018, un peu plus des deux tiers des déplacements policiers (70%) étaient en lien avec des problématiques sociales de santé mentale, d’itinérance, de dépendance, etc. (Ministère de la Sécurité publique du Québec, 2020). En plus de devoir répondre à des demandes particulièrement exigeantes, stressantes et parfois à haut risque d’atteinte à l’intégrité physique (Cavalcante Neto, Calheiros, Calheiros, Neto et Pinto, 2019; Padyab, Backteman-Erlanson et Brulin, 2016), les policiers sont soumis à des procédures strictes sur la manière d’intervenir et à des règles administratives relatives à l’application de la loi (Caroly, 2011). Le travail policier est donc effectué dans une variété d’environnements imprévisibles et la crise sanitaire liée à la COVID-19 en est un parfait exemple. Il leur a alors été demandé de contrôler la propagation du virus et de maintenir l’ordre public, lors de manifestations par exemple (Frenkel et al., 2020), tout en poursuivant les différentes interventions d’urgence auxquelles ils avaient l’habitude de faire face (Laufs et Waseem, 2020). Il n’est pas sans dire que l’avènement d’Internet et de la mondialisation des échanges amènent de rapides et profondes transformations technologiques et sociales qui modifient aussi le travail policier. Ainsi, face à une population de plus en plus diversifiée, dont la tolérance pour l’approche répressive traditionnelle s’effrite, le modèle de police communautaire est devenu le cadre de référence privilégié de l’intervention policière. Face à ces constats, il y a lieu de se questionner à savoir si les motivations des candidats d’aujourd’hui pour entreprendre une carrière policière ont évolué dans le même sens que les modèles d’intervention, passant de motivations davantage axées sur le contrôle de la criminalité (modèle répressif) à des motivations se rapprochant plus d’un modèle axé sur une approche communautaire.

Dans une étude de Raganella et White (2004 ; voir aussi White et al., 2010) portant sur les profils motivationnels de nouvelles recrues de l’Académie de Police de la ville de New York, le désir d’aider l’autre constituait le facteur favorisant le plus la volonté d’exercer le métier de policier. Ce constat a aussi été observé dans l’étude québécoise de Richard et Pacaud (2008) qui conclut que le désir de venir en aide à la communauté figure parmi les motivations les plus significatives chez des étudiants admis en TP. La fascination pour la profession et le rêve de devenir policier semblent toutefois avoir plus d’importance pour les aspirants policiers québécois comparativement aux recrues américaines (Raganella et White, 2004 ; Richard et Pacaud, 2008). En ce qui a trait aux facteurs motivationnels les moins influents se trouvent les incitatifs associés au pouvoir et à l’autorité, la structure militariste du milieu policier et le manque d’autres possibilités de carrière (Foley, Guarneri et Kelly, 2008; Pruvost et Roharik, 2011 ; Raganella et White, 2004 ; White et al., 2010). Ainsi, globalement, il semble que le (futur) policier choisisse sa carrière principalement pour des raisons altruistes (Foley et al., 2008; Raganella et White, 2004 ; Richard et Pacaud, 2008; Pruvost et Roharik, 2011; White et al., 2010).

Le rôle des caractéristiques personnelles sur les motivations

La féminisation de la police est le résultat d’une histoire mouvementée (Pruvost, 2007). En 2015, un peu plus du quart (26,4%) de l’effectif policier québécois était composé de femmes (Ministère de la Sécurité publique, 2017). Néanmoins, cette profession attire de plus en plus ces dernières (Brière et al., 2019) et nous jetterons donc un regard attentif aux motivations à entrer dans un milieu majoritairement masculin. À ce sujet, Raganella et White (2004) font ressortir que, comme pour les recrues masculines, les femmes ont tendance à entrer dans la police par altruisme, suivi de près par la sécurité d’emploi, les avantages sociaux et l’avancement professionnel. Puis, les hommes et les femmes ont classé les motivations les moins influentes sensiblement de la même manière (Raganella et White, 2004 ; White et al., 2010) : le manque d’autres possibilités de carrière, le salaire et la structure militariste de l’emploi sont des incitatifs très peu influents sur leur décision d’entrer dans la police. Or, même si indépendamment du sexe, les facteurs motivationnels sont classés de manière similaire, l'importance accordée aux incitatifs peut être différente. Ainsi, bien que les recrues masculines et féminines aient placé l’occasion d’aider les gens comme l’incitatif motivationnel le plus influent (Raganella et White, 2004), il semblerait que les femmes accordent beaucoup plus d’importance à cette motivation.

La discrimination raciale existe dans toutes les sociétés et on la retrouve aussi au sein des institutions sociales comme les organisations policières (Maynard, 2019). De fait, il devient intéressant de voir si l’origine ethnique des (futurs) policiers a une influence sur leurs motivations à entrer dans le métier. Or, selon White et ses collaborateurs (2004; 2010), les incitatifs motivationnels les plus influents ont été classés sensiblement de la même manière par les recrues et policiers caucasiens, hispaniques et noirs. L'occasion d'aider les gens a été classée comme la motivation première, et tous ont classé les motivations les moins influentes dans le même ordre. Quelques différences sont observées à propos de la retraite anticipée et l'excitation du travail comme étant des incitatifs plus influents pour les revues caucasiennes que les recrues noires et hispaniques. Hormis ces légères différences, le manque d'autres possibilités de carrière et la structure militariste se sont avérés être des incitatifs peu influents pour les trois groupes ethniques.

Aspirations professionnelles

Selon l’état actuel des connaissances, la possibilité d’avancement professionnel figure parmi les incitatifs motivationnels prédominants dans la volonté d’entrer dans la police, indépendamment de la position (recrues, étudiants en TP ou policiers), du sexe ou de l’origine ethnique (Foley et al. 2008; White et al., 2004, 2010). D’ailleurs, des études portant sur l’effet générationnel au travail stipulent que pour la génération Z, la possibilité d’avancement professionnel est le critère le plus influent du choix de carrière, peu importe la profession (Dalmas, 2019; Solomon, 2020). Toutefois, l’importance accordée à la possibilité d’avancement professionnel varie considérablement d’un policier à l’autre. Par exemple, alors que Archibald et al. (2010) ont constaté que les femmes sur la patrouille étaient moins enclines que leurs homologues masculins à exprimer un désir de promotion, Foley et al. (2008) ont plutôt découvert que les femmes étaient plus susceptibles que les hommes de considérer les possibilités d’avancement professionnel dans leur décision de poursuivre une carrière policière.

Paoline et al. (2013 ; 2020) expliquent que le climat de travail est un aspect non négligeable au désir d’avancement professionnel. D’ailleurs, ils expliquent que le stress, la satisfaction et les opinions à l’égard de la direction peuvent influencer la mesure dans laquelle les policiers s’attendent à être promus ; le facteur prédictif le plus significatif étant la satisfaction au travail (Paoline et al., 2013). Or, ceux qui perçoivent une plus grande ambiguïté des rôles de la haute direction sont moins susceptibles d’aspirer à une promotion alors que ceux qui ont une opinion positive à l’égard des cadres supérieurs aspirent davantage à atteindre les rangs supérieurs de leur organisation (Paoline et al., 2013).

Enfin, le niveau d’éducation peut également exercer une influence sur les aspirations professionnelles (Paoline et al., 2013). D’une part, la détention d’un diplôme universitaire peut renforcer le désir d’aspirer aux rangs supérieurs puisque les policiers ayant reçu la formation menant à ce diplôme ont une plus grande confiance en leur capacité de bien effectuer leur travail (Buckley et Petrunik, 1995). Puis, un diplôme universitaire est souvent une condition préalable ou un atout permettant de gravir les échelons professionnels plus aisément (Scarborough et al., 1999). D’autre part, Paoline et al. (2013) expliquent que l’éducation peut réduire le désir d’avancement professionnel, car les policiers les plus instruits risquent de perdre leurs illusions après s’être rendu compte que leurs ambitions professionnelles ne correspondent pas aux réalités du travail policier.

Socialisation professionnelle et adhésion à la culture policière

La socialisation professionnelle peut être définie comme « les attitudes, les valeurs et les normes qui sont transmises et partagées entre les groupes d’individus dans un effort collectif pour faire face aux problèmes et aux conditions communes auxquelles les membres sont confrontés [traduction libre] » (Paoline et Terrill, 2014, p. 5). Ainsi, la socialisation professionnelle des policiers serait vue comme le véhicule de transmission de la culture policière (Paoline et Terrill, 2014), laquelle correspond à l’ensemble des façons de faire et de pensées partagées par les policiers qui leur permet de gérer les difficultés induites par la nature même de leurs rôles (Paoline et Terrill, 2005; Van Maanen, 1973). En ce sens, Chan (1996) propose que la culture policière soit considérée comme essentielle à la survie des policiers dans un métier considéré dangereux et imprévisible. Pourtant, alors que la professionnalisation de la police est vue comme un processus par lequel les policiers finissent par partager un ensemble d’opinions, d’attitudes et de valeurs, Monjardet (1994) révèle qu’il y a un très grand pluralisme des traits individuels au sein des organisations policières. Paoline et Gau (2017) précisent d’ailleurs que la culture policière ne doit pas être considérée comme monolithique et statique. Il y a un débat considérable sur la mesure dans laquelle les policiers modifient aujourd'hui leurs attitudes et leurs perceptions après avoir adhéré à la culture policière (White et al., 2010). Quoi qu’il en soit, la formation professionnelle des policiers est un moment crucial de leur socialisation professionnelle (Alain & Pruvost, 2011). Alors que plusieurs recherches indiquent que les (futurs) policiers changent considérablement au cours de leur formation (Alain et Pruvost, 2011; Auteurs, 2020; Faubert, 2019), il importe maintenant de se questionner quant à l’impact de la formation policière sur le processus de socialisation professionnelle de ces derniers.

Il ne faut pas oublier non plus que les futurs policiers sont, pour la plupart, au stade de la « vie d’adulte émergente », que les chercheurs définissent comme la période de 18 à 29 ans (Arnett, 2000). Le développement humain est aujourd’hui compris comme ayant plusieurs facettes (Jensen, 2015). Ainsi, les chercheurs distinguent entre autres l’évolution en fonction du développement cognitif et de la maturité sociale : un individu peut avoir 20 ans d’âge biologique mais être à un stade différent d’évolution sociale et morale (Padilla-Walker, 2014). La conséquence est que la recherche ne peut plus considérer uniquement l’âge biologique afin de capter le développement humain, en particulier lorsqu’il est question du passage d’apprenant à celui de travailleur (Marshall & Butler, 2014). Autrement dit, l’âge biologique est une facette parmi d’autres du développement humain et de la maturité.

Bref, il est raisonnable de s’attendre à ce que le profil motivationnel et les aspirations professionnels des (futurs) policiers changent au fil du temps, ce qui implique la conduite d’études longitudinales auprès de cette population. Or, de telles études sont assez rares. Une des premières à avoir été conduites est celle dirigée par le sociologue Dominique Monjardet dès les années 1990 (Monjardet & Gorgeon, 1992 ; voir aussi les nombreuses publications utilisant ces données). Ces chercheurs ont suivi 1166 gardiens de la paix lors de leur entrée en école ou en centre de formation en janvier 1992 jusqu’à juillet 2002, soit après 10 années de service. Centrée sur la socialisation professionnelle, cette étude a démontré qu’on devient policier au fil du temps et non seulement qu’une poignée d’individus reçoit une formation pour parfaire leur approche. De même, Marc Alain a mené une étude suivant 723 aspirants admis à l’École nationale de police du Québec en 2000. Il s’est inspiré de l’étude de Monjardet & Gorgeon, avec un intérêt plus prononcé pour l’éthique de travail (Alain & Grégoire, 2008). L’étude a notamment montré les conséquences du « choc des réalités » subit par les policiers en début de carrière. Autant l’étude menée par Monjardet que celle par Alain ont souffert d’une attrition très forte, ce qui peut indiquer une évolution des intérêts au cours de la carrière policière. Aussi, il existe un certain nombre d’études sur la santé mentale des premiers répondants, dont les policiers, visant à comprendre l’impact d’événements traumatisants sur la santé psychologique ; elles ont, par exemple, été menées auprès de policiers néo-zélandais (Huddleston et al., 2007) ou néerlandais (van der Velden et al., 2012 ; 2014). Dans tous les cas, il s’agit d’études cruciales mais portant sur des problématiques assez précises : celle de Monjardet s’intéressait principalement à la socialisation professionnelle des policiers actifs, celle d’Alain, sur l’évolution des valeurs éthiques lors du passage de la formation vers le monde du travail, celles de Huddleston et collègues ainsi que van der Velden et collègues, sur le vécu post-traumatique de policiers confrontés à des situations particulières. De plus, les études précédemment citées arrivaient lorsque la formation initiale était passé, c’est-à-dire lorsque les policiers avaient entamé leur carrière, à un moment où les motivations et aspirations initiales pouvaient déjà avoir changé.

La présente étude

Malgré l’existence de quelques études effectuées au début du 21e siècle (Foley et al., 2008; Richard et Pacaud, 2008; Pruvost et Roharik, 2011; Raganella et White, 2004 ; White et al., 2010), peu de chercheurs se sont intéressés à l’étude des motivations à entrer dans la police. Dans le contexte où le métier de policier a grandement évolué au cours des dernières années, et considérant le processus de socialisation professionnelle, il devient d’autant plus intéressant de proposer un portrait contemporain des motivations à entrer dans la police et d’étudier l’évolution de ces choix motivationnels. Concrètement, cette recherche nous permettra de vérifier les associations entre les caractéristiques individuelles des participants et leurs motivations à exercer la profession policière pour ensuite analyser l’évolution entre la première année de l’étude et la seconde quant aux choix motivationnels des étudiants inscrits au programme de formation policière du Québec. Ainsi, il est souhaité que les critères d’admission (et donc, le profil des futurs policiers) correspondent au mieux aux besoins de la société et des organisations policières.

Méthodologie

Source de données

La présente étude fait partie d’un vaste projet de suivi longitudinal d’une cohorte de futurs policiers ayant commencé le programme de TP en 2019. Ce projet intitulé « Les trajectoires professionnelles des policiers du Québec » implique la passation annuelle d’un questionnaire portant sur les motivations, les aspirations professionnelles, l’éthique au travail, le faible contrôle de soi, l’adhésion à la culture policière et la consommation d’alcool. Afin d’assurer le suivi longitudinal des participants à l’étude, les participants devaient indiquer leur nom complet sur le formulaire de consentement, tandis que le questionnaire lui-même était anonyme ; les deux documents étaient identifiés à l’aide d’un numéro de série permettant de lier les réponses à l’identité du répondant. Seul le chercheur principal du projet a eu accès au nom des participants, le reste de l’équipe de recherche travaillait à partir de données anonymisés. La première collecte a été menée en personne dans l’objectif de rejoindre le plus grand nombre de participants. Dû à la crise sanitaire liée à la COVID-19, une collecte électronique a été faite pour la seconde vague ; le même questionnaire a été envoyé par voie électronique à l’ensemble des étudiants en TP à l’automne 2020.

Description de l’échantillon

Comme tous les nouveaux admis au programme de TP en 2019 au Québec ont été sollicités, c’est 780 candidats sur un total de 822 qui ont participé à la première vague de collecte de données. De ce nombre, 634 étudiants ont participé à la deuxième collecte de données. Aux fins de cette présente étude, seuls les étudiants ayant participé aux deux collectes de données (n = 544) seront considérés. Ainsi, 60,5% de l’échantillon est composé d’hommes et 62,5% des participants ont 18 ans et moins (voir Tableau 1). Enfin, 88,8% participants ont déclaré être d’origine canadienne/québécoise alors que 1,7% sont d’origine anglaise ou française, 6,1% sont de plusieurs nationalités et 3,5% sont d’une origine ethnique ne figurant pas parmi les choix précédemment énoncés. Les participants pour lesquels le sexe, l’âge ou l’origine ethnique n’était pas indiqué ont été éliminés de l’échantillon. L’échantillon final aux fins d’analyse se compose donc de 437 participants.

Variables à l’étude

La stratégie de collecte de données était de nature auto-rapportée, c’est-à-dire que les caractéristiques sociodémographiques des répondants n’ont pas été observées par les chercheurs mais bien notées par les répondants eux-mêmes. Ainsi, l’âge biologique, le sexe et l’origine culturelle des participants analysés ici sont ceux indiqués par les répondants. Les questions sur l’ethnicité des répondants ont été adaptées de celles posées dans le Recensement canadien et sont au nombre de trois : « Quelles sont vos origines ethniques ou culturelles? », « Êtes-vous un Autochtone, c’est-à-dire membre d’une Première Nation (Indiens de l’Amérique du Nord), Métis ou Inuk (Inuit)? » et « Faites-vous partie d’une minorité visible? ». Le tableau 1 indique que la grande majorité des répondants rapportait une origine canadienne ou québécoise seulement. En raison de la distribution des réponses, celles-ci ont été réparties en deux catégories, soit « Canadiennes ou québécoises seulement » et « Autres ». L’âge biologique (18 ans et moins ou plus de 18 ans) et le sexe des répondants (homme ou femme) sont aussi des variables dichotomiques.

Motivations : Les énoncés présentés dans cette section ont été tirés d’une étude de Raganella et White (2004) et sont du nombre de dix-huit. Les répondants devaient indiquer le niveau d’influence de ces facteurs dans leur décision d’entrer dans le métier (1 = Aucune influence, 2 = Une certaine influence et 3 = Une grande influence). La distribution de ces réponses sera présentée plus loin.

Aspirations professionnelles : Les répondants devaient aussi indiquer à quel point ils aimeraient occuper une série de fonctions, après avoir fait 10 ans de carrière à titre de policier-patrouilleur. Ils devaient choisir, pour chaque fonction, leur niveau d’approbation (1 = Tout à fait en désaccord, 2 = Plutôt en désaccord, 3 = Plutôt en accord et 4 = Très en accord). La distribution de ces réponses sera présentée plus loin.

Stratégie d’analyse

Des analyses de types univariées ont été menées afin de décrire notre population, de mesurer certaines tendances centrales et d’examiner l’évolution des choix motivationnels entre le T1 et le T2. Des Tests-t, l’ANOVA et le test a posteriori de Tukey ont permis de dessiner le portrait des motivations à entreprendre une carrière policière selon certaines caractéristiques individuelles. Afin de combiner les informations, le partitionnement de données (cluster analysis Twostep) a été utilisé pour regrouper les participants en sous-groupe, ayant des caractéristiques communes (Gallegos et Ritter, 2005).

La deuxième étape de l’analyse consistait à prédire l’appartenance à ces profils au moyen de modèles de régressions logistiques binaires. La première variable d’intérêt est le profil démontré par le participant, basé sur ses réponses au questionnaire sur les motivations. Cette analyse a été faite sur la base des questionnaires, indépendamment de qui l’avait complété. Ainsi, l’échantillon est de 874 cas, soit le double du nombre de participants qui, de nouveau, ont chacun complété le même questionnaire à un an d’intervalle. La seconde variable d’intérêt est l’évolution des profils analysés précédemment et se base donc sur les individus et non les questionnaires qu’ils ont complétés. Les aspirations professionnelles ont ensuite été mises en lien avec les profils motivationnels à l’aide de modèles de régression logistique binaire.

Résultats

Motivations à devenir policier : analyses descriptives et bivariées

Le tableau 1 montre les moyennes attribuées à chacune de ces motivations. À la première année de l’étude tout comme à la seconde, la possibilité d’aider les gens se classe au premier rang avec des scores respectifs de μ = 2,91 et μ = 2,94 sur une possibilité de 3. Des tests T de Student nous ont permis de constater que la lutte contre la criminalité est significativement plus influente à la deuxième année de l’étude tout comme la possibilité d’avancement professionnel. Notons aussi que le prestige lié à la profession, le pouvoir et l’autorité associé au travail, et la structure militariste de la police sont les éléments motivationnels les plus significatifs à la première année de l’étude et perdent ensuite de l’importance.

Pris un-à-un, les choix motivationnels diffèrent relativement peu en fonction des caractéristiques sociodémographiques. Un total de 7 différences statistiques significatives a été trouvé, sur une possibilité de 54 différences. Les hommes ont rapporté que l’excitation et le prestige liés au travail avaient eu plus d’impact dans leur choix de carrière policière tandis que les femmes ont en général indiqué que la possibilité d’aider les gens dans leur communauté et d’appliquer les lois de la société avait eu plus de d’impact. De même, les candidats de plus de 18 ans ont octroyé une plus grande influence à la possibilité d’avancement professionnel et à la sécurité d’emploi. Enfin, les répondants ayant indiqué des origines culturelles autres que canadiennes ou québécoises ont accordé un score plus élevé à l’idée qu’ils n’avaient pas d’autres options de carrière ; dans ce dernier cas, soulignons que les valeurs moyennes restent faibles (1,11 et 1,16 respectivement), ce qui indique que cette motivation a peu d’impact sur le choix de carrière.

Tableau 1. Statistiques descriptives et tests bivariés

Motivations

Total au T1 et T2

Progression en TP (T1 et T2)

Sexe (T1)

Âge (T1)

Origine culturelle (T1)

1ère année

2e année

Homme

Femme

18 ans et moins

Plus de 18 ans

Canadien/Québécois

Autres

Nombre de questionnaires (Q) ou de répondants (R)

874 Q

437 Q

437 Q

296 R

139 R

272 R

152 R

388 R

49 R

Aider les gens

2,93

2,91

2,94

2,89

2,93*

2,91

2,89

2,90

2,96

Excitation liée au travail

2,87

2,86

2,87

2,90

2,80*

2,86

2,87

2,87

2,89

Lutter contre la criminalité

2,82

2,79

2,85*

2,82

2,81

2,82

2,79

2,81

2,80

Avancement professionnel

2,59

2,56

2,62*

2,52

2,59

2,49

2,64**

2,55

2,46

Bonne camaraderie avec les collègues

2,57

2,55

2,58

2,60

2,51

2,57

2,57

2,57

2,60

Appliquer les lois de la société

2,52

2,52

2,52

2,48

2,66*

2,51

2,59

2,53

2,57

Souhait ou rêve de ma vie

2,37

2,38

2,35

2,35

2,43

2,40

2,30

2,36

2,52

Avantages sociaux

2,17

2,18

2,16

2,23

2.12

2,18

2,21

2,22

2,02

Salaire

2,01

2,00

2,02

2,08

1,90*

2,01

2,04

2,02

2,04

Sécurité d’emploi

2,00

1,98

2,01

2,02

1,96

1,96

2,07*

2,01

1,88

Prestige lié à la profession

1,87

1,92

1,81**

1,99

1,80*

1,93

1,93

1,92

1,98

Retraite anticipée

1,89

1,90

1,87

1,90

1,90

1,96

1,81

1,90

1,90

Pouvoir et autorité associée au travail

1,51

1,62

1,40**

1,60

1,62

1,62

1,59

1,61

1,55

Structuré comme dans l’armée

1,51

1,54

1,47*

1,55

1,51

1,55

1,51

1,54

1,52

Amis/ famille ont été policiers

1,49

1,50

1,47

1,54

1,52

1,58

1,47

1,54

1,52

Possibilité de travailler seul

1,28

1,29

1,27

1,32

1,30

1,31

1,32

1,31

1,36

Tremplin pour une meilleure carrière

1,23

1,22

1,23

1,24

1,22

1,26

1,19

1,23

1,29

Manque d’autres choix de carrière

1,11

1,12

1,10

1,12

1,10

1,13

1,09

1,11

1,16*

**p < 0,01; *p < 0,05. Les résultats significatifs sont en gras dans le tableau.

Profils motivationnels des étudiants en Techniques policières

L’analyse de regroupement de type « cluster analysis » menée à partir des réponses obtenues aux 18 items présentés plus haut a permis d’identifier deux groupes de répondants (voir Tableau 2). Étant donné la similarité des profils trouvés à ceux de Pruvost & Roharik (2011), ils ont été nommés : judicieux1 et missionnaire. Le profil missionnaire concerne 58,7% des participants et regroupe essentiellement les incitatifs motivationnels directement liés au métier. Le profil judicieux concerne 41,3% d’entre eux et rassemble les motivations dites réalistes et rigoristes.

Tableau 2 : Établissement de profils motivationnels selon 18 incitatifs à la profession policière

Profils motivationnels

Profil missionnaire

Profil judicieux

Excitation liée à l’emploi

Manque d’autres choix de carrière

Souhait ou rêve de ma vie

Avantages sociaux

Aider les gens de la communauté

Retraite anticipée

Lutter contre la criminalité

Sécurité d’emploi

Appliquer les lois

Salaire

Bonne camaraderie avec ses collègues

Structurée comme dans l’armée

Possibilité de travailler seul

Avancement professionnel

Prestige lié à l’emploi

Tremplin pour une meilleure carrière

Pouvoir et autorité

Amis ou membres de la famille policiers

La question est donc de savoir si l’année d’avancement et les caractéristiques sociodémographiques sont associées aux profils. Des modèles de régression logistique binaire, présentés au tableau 3, visaient à répondre à ce questionnement. Il ressort trois constats de ces analyses. Premièrement, le pouvoir prédictif des modèles est faible, et le modèle 2 n’atteint même pas la signification statistique. Autrement dit, les quatre variables indépendantes n’arrivent pas à prédire complètement l’appartenance à l’un ou l’autre des profils, ni à prédire le fait qu’un répondant ait changé d’une année à l’autre. D’autres facteurs entrent en ligne de compte. Deuxièmement, l’année d’avancement dans les études est un excellent prédicteur du profil (modèle 1) : les répondants étaient plus susceptibles de fournir des réponses correspondant au profil missionnaire en deuxième année de formation qu’en première. Ce résultat correspond à ce que les analyses descriptives et bivariées suggéraient déjà, puisqu’une plus grande proportion des répondants présentait un profil missionnaire en deuxième année (49,2% en première année contre 59,7% en deuxième). Il faut donc en comprendre que les profils missionnaire et judicieux cohabitent chez les étudiants en TP, mais que le profil missionnaire semble prendre le dessus en deuxième année. Troisièmement, l’âge biologique des répondants est aussi un prédicteur significatif du profil motivationnel des répondants : les participants plus âgés étaient plus susceptibles d’offrir des réponses s’apparentant au profil judicieux, indépendamment de leur année d’avancement au moment de compléter le questionnaire.

Tableau 3. Modèles de régression logistique binaire visant à prédire le profil de motivation des étudiants en techniques policière

Modèle 1 : profil judicieux (vs profil missionnaire)

Modèle 2 : changement de profil (vs stabilité)

Nombre d’observations

874

437

Année d’avancement

0,702**

Sexe (1 = femme)

0,872

0,908

Âge (1 = plus de 18 ans)

1,390*

1,470

Origine culturelle (1 = autres que canadiennes ou québécoises)

0,780

0,747

R2 de Nagelkerke

0,019**

0,009

**p < 0,01; *p < 0,05

Aspirations professionnelles

Le tableau 4 montre les scores moyens attribués à chacune des fonctions. Les fonctions d’enquêteur et de membre d’une équipe d’intervention (« SWAT ») sont les plus populaires auprès des étudiants en techniques policières (moyennes de 3,21 et 3,13 sur 4). On observe quelques changements entre la première et la deuxième années de formation : par exemple, la fonction au sein du groupe d’intervention devient moins attrayante dès la deuxième année, mais reste tout de même parmi les trois fonctions les plus populaires. Le résultat le plus marquant de ce sondage est probablement le fait que la fonction de patrouilleur soit au quatrième rang, avec un score moyen inférieur à 3 (2,94) – correspondant à « Plutôt en accord » – qui est peu influencé par les caractéristiques du répondant. Le score reste relativement élevé mais est suffisamment bas pour être préoccupant, dans la mesure où les deux tiers des policiers québécois sont patrouilleurs (66,9% en 2020). Même si la proportion diminue vraisemblablement au fil du temps, il demeure qu’un bon nombre de ces futurs policiers seront patrouilleurs après dix années de carrière. Autrement dit, la fonction principale des policiers n’est pas parmi les plus populaires auprès de ceux qui, en toute vraisemblance, occuperont cette fonction pour plusieurs années.

Il faut aussi souligner que les aspirations professionnelles semblent plus liées que les motivations aux caractéristiques sociodémographiques des répondants puisque douze des quarante relations bivariées atteignent le seuil de signification statistique. En particulier, le sexe du répondant augmente ou diminue l’intérêt envers des fonctions ; l’attrait semble correspondre à une série de stéréotypes genrées, puisque les femmes semblent plus attirées par les fonctions plus analytiques et demandant une plus grande empathie, comme les enquêteurs et les agents sociocommunautaires, tandis que les hommes sont plus nombreux à favoriser les fonctions plus physiques, comme l’appartenance à un groupe d’intervention.

Tableau 4. Statistiques descriptives et tests bivariés, aspirations professionnelles (« Après avoir fait 10 ans de carrière à titre de policier, j’aimerais occuper un poste […] »)

Aspirations professionnelles

Total (T1 et T2)

Progression en TP (T1 et T2)

Sexe (T1)

Âge (T1)

Origine culturelle (T1)

1ère année

2e année

Homme

Femme

18 ans et moins

Plus de 18 ans

Canadien/Québécois

Autres

Nombre de questionnaires (Q) ou de répondants (R)

874 Q

437 Q

437 Q

296 R

139 R

272 R

152 R

388 R

49 R

Enquêteur

3,21

3,23

3,18

3,10

3,52**

3,27

3,20

3,25

3,11

Groupe d’intervention

3,13

3,19

3,07*

3,39

2,75**

3,22

3,12

3,19

3,23

Superviseur de premier niveau

3,09

3,09

3,09

3,08

3,11

3,11

3,07

3,09

3,13

Patrouilleur

2,94

2,91

2,97

2,92

2,88

2,87

2,94

2,87

3,20**

Escouade canine

2,93

2,97

2,89

2,97

2,99

2,99

2,92

2,97

3,02

Encadrement supérieur

2,68

2,79

2,58**

2,76

2,85

2,82

2,75

2,81

2,58*

Agent motard

2,26

2,25

2,26

2,36

2,03**

2,26

2,26

2,24

2,33

Service d’identité judiciaire

2,22

2,20

2,24

2,05

2,53**

2,22

2,15

2,21

2,15

Agent sociocommunautaire

2,11

2,01

2,21**

1,92

2,26**

1,93

2,16**

2,02

2,05

Cavalerie (police montée)

1,99

2,06

1,91*

1,95

2,31**

2,10

2,01

2,05

2,17

**p < 0,01; *p < 0,05. Les résultats significatifs sont en gras dans le tableau.

En plus de l’impact des caractéristiques sociodémographiques et de l’année d’avancement des répondants, la question devenait de savoir si les profils motivationnels étaient eux-mêmes des prédicteurs importants des aspirations professionnelles. Des modèles de régression logistique binaire, présentés au tableau 5, visaient à répondre à ce questionnement. Cette fois, quatre constats peuvent être mis de l’avant. Premièrement, le pouvoir prédictif des modèles est de nouveau faible. Autrement dit, les cinq variables indépendantes n’arrivent pas à prédire complètement l’intérêt envers les principales fonctions policières. D’autres facteurs entrent en ligne de compte. Deuxièmement, les profils motivationnels entrent parfois en ligne de compte. Notamment, les répondants ayant un profil motivationnel de type judicieux sont moins susceptibles de vouloir être patrouilleur après dix années de carrière, ce qui est logique puisque cette fonction est généralement associée à l’échelon professionnel le moins élevé. Troisièmement, l’année d’avancement, un excellent prédicteur des profils motivationnels, n’est cette fois pas associée aux aspirations professionnelles. Enfin, les caractéristiques sociodémographiques, notamment le sexe des répondants, restent étroitement liées aux aspirations.

Tableau 5. Modèles de régression logistique binaire visant à prédire les aspirations professionnelles (0 = Très ou plutôt en désaccord; 1 = Très ou plutôt en accord). Seuls les modèles atteignant la signification statistique à p < 0,05 sont montrés

 

Modèle : Aspirations professionnelles

 

Patrouilleur

Enquêteur

Superviseur

Encadrement

Intervention

Escouade canine

Motard

Identité judiciaire

Cavalerie

Agent sociocom.

Nombre d’observations

874

874

874

874

874

874

874

874

874

874

Année d’avancement

1,014

1,091

0,967

1,039

1,011

0,988

1,115

1,044

0,935

0,925

Sexe (1 = femme)

1,01

4,333**

0,986

1,393ʈ

0,268**

0,737ʈ

0,372**

3,934**

1,803**

2,202**

Âge (1 = plus de 18 ans)

1,112

0,779

1,083

0,84

0,812

0,832

0,971

0,917

1,456*

1,785**

Origine culturelle (1 = autres que canadiennes ou québécoises)

2,677**

0,474*

0,983

0,615ʈ

1,667

0,826

1,48

0,637

1,363

1,113

Profil motivationnel (1 = profil judicieux)

0,756ʈ

0,906

0,864

1,213

1,043

0,82

1,343ʈ

1,459*

0,906

0,913

R2 de Nagelkerke

0,026*

0,098**

0,002

0,020ʈ

0,108**

0,013

0,069**

0,130**

0,036**

0,061**

**p < 0,01; *p < 0,05; ʈ p < 0,10

Discussion

Cette étude exploratoire visant à porter un regard sur les motivations associées au choix d’entreprendre des études et une carrière policière conclut sur deux grands constats : 1) les motivations des candidats évoluent, et 2) les caractéristiques personnelles expliquent peu cette évolution. Donc, il est possible de croire que le processus de socialisation professionnelle façonne les idéologies du milieu policier et les motivations à entrer dans la police. Surtout, un tel exercice revient à constater que le recrutement et la formation des policiers au Québec sont soumis à l’influence d’un processus impliquant les individus, le système éducatif et les institutions de sécurité publique. Si la police se transforme avec le temps, influençant ainsi les pratiques et l’ensemble du continuum de formation, les motivations qu’entretiennent les recrues associées à ce choix de carrière semblent au moins partiellement être aussi soumises à cette influence.

Dans certains cas, la présente étude contredit la littérature existante. D'abord, certains travaux suggèrent que la sécurité d’emploi, les avantages sociaux et la retraite anticipée sont des incitatifs motivationnels très influents, ce qui ne fut pas le cas dans notre étude. Un bon nombre de répondants de la présente étude ont aussi indiqué que le métier de policier représente le rêve de leur vie alors que cette motivation avait moins d’importance dans les études antérieures menées à l’extérieur du Québec. La volonté de se servir du métier de policier comme tremplin pour une meilleure carrière est aussi moins influente pour les étudiants québécois (dix-septième rang) que pour les recrues new-yorkaises (dixième rang). Il semble également qu'au fil du temps, la profession est devenue plus désirable qu’elle ne l’était, attirant des personnes motivées par le rôle qu’occupe les policiers plutôt qu’en raison de la commodité, de la pression de la famille, ou d'un manque d'autres choix. Ces résultats indiquent que l'occupation policière est de plus en plus considérée comme une profession honorable, respectée et stimulante, exigeant des compétences et des connaissances spéciales. À ce propos, Auteurs (2021) estime que l’avènement des technologies est un exemple de changement qui demande aux milieux policiers et à leurs membres d’acquérir des connaissances spécialisées, ce qui peut avoir un effet très motivant pour les recrues. Selon Chillakuri & Mahanandia (2018), les travailleurs issus de la génération Z seraient particulièrement motivés lorsqu’ils apprennent de nouvelles choses. Ainsi, il est juste de constater que la profession soit davantage vue comme un métier honorable au Québec, attirant des individus motivés par des raisons de type missionnaire et contribuant à faire du maintien de l'ordre un métier plus recherché.

D’autre part, les recherches antérieures ont toujours identifié le salaire comme étant le facteur motivationnel le moins influent indépendamment de la position de l’individu, mais les conclusions de notre étude indiquent plutôt que le salaire est un facteur mitoyen, se situant au neuvième rang. Comme le salaire de départ des policiers au Québec est assez faible par rapport aux autres provinces canadiennes (Gouvernement du Canada, 2021), il est possible de croire que ce qui motive réellement les étudiants en TP du Québec n’est pas le salaire d’entrée, mais plutôt le salaire atteignable dû à la possibilité de faire de nombreuses heures supplémentaires ou à la rémunération plus intéressante des postes d’encadrement, par exemple. Cela expliquerait peut-être aussi pourquoi la possibilité d’avancement professionnel compte parmi les incitatifs les plus influents. Les résultats d’études antérieures (Foley et al. 2008; Raganella et White, 2004 ; White et al., 2010) l’ont d’ailleurs affirmé. Rappelons toutefois que des études portant sur les générations avaient révélé que pour la génération Z, la possibilité d’avancement professionnel est le critère le plus influent dans le choix de sa trajectoire de carrière (Dalmas, 2019; Rakotondrabe Solomon, 2020). Les résultats de recherches antérieures viennent donc contredire l’idée selon laquelle l’effet générationnel a un rôle à jouer dans le choix de devenir policier puisque ceux-ci suggèrent que les individus des générations précédentes accordent autant d’importance à la possibilité d’avancement professionnel (Foley et al. 2008; Raganella et White, 2004 ; White et al., 2010).

La pertinence d’étudier les profils motivationnels est renforcée par le lien existant avec les aspirations professionnelles des futurs policiers. Non seulement le profil motivationnel varie-t-il d’un répondant à l’autre, mais celui-ci est parfois en lien direct avec les ambitions professionnelles avouées. De plus, les analyses révèlent que, bien que les caractéristiques sociodémographiques soient peu ou pas liées au profil motivationnel, ceci cache le fait que les attentes envers la profession policière soient influencées par celles-ci. Notamment, les femmes ne souhaitent pas nécessairement occuper les mêmes fonctions que leurs collègues masculins. Il est donc difficile d’envisager que la police, malgré l’ouverture relativement récente de la police aux femmes -par exemple, la première femme policière au Québec est arrivée en poste au milieu des années 1970-, devienne un modèle de diversité sexuelle et raciale dans un avenir rapproché, car elle attire encore des recrues ayant des aspirations influencées par leurs caractéristiques sociodémographiques.

Limites de l’étude

Au-delà des limites habituelles liées à la recherche en sciences sociales, il est essentiel de se questionner quant à l’impact de la pandémie de la COVID-19 sur les choix des répondants. Cette pandémie a clairement eu un effet sur le travail policier (Auteurs, 2022), mais ses effets à plus long terme restent à déterminer. Des pays ayant des processus de sélection et de formation moins longs, comme l’Australie et les États-Unis, suggèrent déjà que la carrière policière semble moins attrayante qu’avant. Dans le contexte où une évolution importante du métier de policier est observée, il est juste de présager que les motivations incitant les étudiants à faire ce choix de carrière sont teintées par cette nouvelle réalité policière. Une autre limite réside au niveau même de l’outil de collecte de donnée. Comme il était demandé de répondre aux différents énoncés selon une échelle de Likert, il nous est impossible de connaître la préférence des étudiants. Ainsi, afin d’espérer connaître le choix de réponse le plus appropriée pour chacun des participants, il aurait été préférable de demander de choisir un énoncé parmi ceux suggérés plutôt de se positionner quant à un degré d’influence.

Conclusion

L’une des faiblesses de la recherche dans le domaine du policing est qu'une grande partie du travail date d’avant plusieurs réformes et peut ne pas refléter les opinions, attitudes et motivations plus contemporaines des étudiants du programme de TP du Québec. Notre recherche aura donc comblé un vide dans la littérature en permettant d’établir un portrait plus récent des motivations à choisir la profession. La démonstration en a été faite dès la première section de cet article : les motivations à devenir policier sont (quasi) unanimes. Raganella et White (2004, p. 509), faisant référence à leur recherche effectuée en 2002 expliquent que : « les résultats obtenus de cet échantillon de recrues […] correspondent aux résultats de recherches menées dans les années 1960, 1970 et 1980 à New York et dans diverses autres juridictions [traduction libre] » et notre étude ne fait pas exception. Tout comme les études précédentes, nos résultats proposent que le désir d’aider les gens reste la motivation ayant suscité l’intérêt de la majorité des individus indépendamment de leurs positions (recrues, étudiants en techniques policières ou policiers), leur sexe, leur âge et leur origine ethnique.

À la lumière de nos résultats, il serait toutefois intéressant d’approfondir certaines pistes de recherche. Il pourrait être pertinent d’examiner si la faible importance attribuée à la structure militaire peut notamment s'expliquer par le fait que la structure policière québécoise est moins caractérisée par son aspect paramilitaire que la police fédérale (la Gendarmerie royale du Canada). D’autre part, la continuation de l’étude nous permettra de voir si la formation policière a effectivement un rôle à jouer dans le processus de socialisation professionnelle menant à l’adhésion à la culture policière, et donc sur les motivations des (futurs) policiers. Enfin, alors que des études portant sur l’effet générationnel en milieu de travail ont révélé que l’avancement professionnel est le critère le plus influent pour la génération Z, il aurait pu être attendu que nos résultats révèlent une plus grande importance accordée à l’avancement professionnel par rapport aux études antérieures. Or, aucun changement majeur n’a été observé. Notons que le climat de travail est aussi un aspect non négligeable au désir d’avancement professionnel. Ainsi, des recherches futures sont nécessaires afin de mieux comprendre l’interaction entre la possibilité d’avancement professionnel, la satisfaction et l’effet générationnel en milieu de travail. Il est aussi préoccupant que les aspirations professionnelles correspondent assez peu à la réalité du travail policier, ce qu’Alain et Grégoire (2008) ont nommé le « choc des réalités ». Du point de vue de la recherche, cette situation soutient particulièrement la conduite d’études sur le moment de la vie professionnelle où les candidats passent de la formation à la carrière, un passage assez peu étudié.

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